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Chapitre 2#

Titre

Envers et contre tout, Komachi Hikigaya n’a pas l’intention d’abandonner l’idée d’avoir une belle sœur.

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On était toujours au milieu de l’hiver. Le nouveau calendrier n’avait vu qu’une seule de ses pages se déchirer.

Le lendemain de la visite au temple, je tenais la promesse faite à Yuigahama la veille – à savoir d’aller acheter un cadeau pour Yukinoshita – puis me dépêchai de rentrer chez moi, seul.

Mon souffle était encore plus blanc que d’habitude, peut-être parce qu’il était vraiment lourd et profond. Mon expiration sous le ciel froid sortit lentement, contrairement à mes pieds qui avançaient d’un pas nerveux. Ce n’était qu’un souffle, mais il avait formé une traînée qui aurait pu être prise pour de la fumée, flottant pendant un instant avant de disparaître dans la brise. Les rayons inclinés du crépuscule lui donnaient une couleur rougeâtre, avec un soupçon de lueur bleu fluo, jusqu’à ce qu’il finisse par se fondre dans les ténèbres. C’était comme si tous les soupirs de la journée s’étaient condensés en un seul.

Le temps passé à faire les boutiques et de discuter de tout et rien avec Yuigahama, par exemple, et ces petits moments qui nous avaient rapprochés – tout ça ressemblait fortement à la couleur du crépuscule. Mais par la suite, avoir croisé la route de Haruno et Hayama avait refroidi l’ambiance, comme ce bleu indigo du ciel assombri. Et enfin, quand Yukinoshita et sa mère s’ajoutèrent à l’équation, j’avais senti les ténèbres de la nuit.

Je levai les yeux au ciel, comme pour chercher un rayon de lumière à l’horizon, où le rideau baissait.

J’ignorais ce que je finirai par y trouver, mais malgré tout, mes pieds ne s’arrêtèrent à aucun moment, progressant au moins un peu vers ma destination, là où je devais rentrer, là où se trouvaient les réponses que je cherchais.

C’est comme ça que je – qu’on a traversé l’année passée et commencé la nouvelle.

Maintenant que j’y pensais, cela ne faisait pas longtemps que l’année avait commencé, mais tout s’était plutôt bien passé pour moi.

J’avais fini de faire les boutiques avec Yuigahama et donner son cadeau à Yukinoshita sans souci particulier, au final. C’est ce qu’on appelle une complete mission[1]. Même que ça devrait me donner un pull de gacha en récompense.

J’avais accompli ma mission avec une telle perfection, je m’attendais à entendre la voix d’une jeune fille s’écrier, « Bravo ! » J’adore ces nanas…

La jeune fille dans ma vie est du genre à n’avoir aucun mal à dire, « Tu veux le faire maintenant ? Vite, si tu pull suffisamment de fois, t’auras un cinq étoiles garanti ! »…

XXX

Après avoir fini nos traditionnelles célébrations du Nouvel An en famille, il ne restait plus que Komachi, Kamakura et moi dans le salon.

Tout en savourant sous le kotatsu le café dînatoire que Komachi m’avait préparé, j’étais sur le point de tenter ma chance avec un lucky bag de gacha[2] quand Komachi, qui était en train de caresser Kamakura, s’éclaircit la voix avec un ahem.

— Bon alors, ça s’est passé comment, frérot ?

J’avais tout de suite compris de quoi elle parlait. Elle était avec nous pendant la moitié du temps au centre commercial aujourd’hui. Elle s’était éclipsée peu après, sûrement dans une inutile tentative de bienveillance…

Autrement dit, elle demandait comment les choses s’étaient passées après son départ. C’était la même question que la veille après la visite au temple.

Et du coup, il allait de soi que ma réponse allait être exactement la même.

— Rien de spé'. Comme d’hab', dis-je.

Komachi poussa un profond soupir.

— Arghhh. Écoute, frérot. Aux yeux de Komachi, Yui est l’une des plus mieux classées dans mon classement des potentielles grandes soeurs, tu sais ? Ça court pas les rues les filles aussi parfaites dans le rôle de grande soeur de nos jours, ok ?

— Euh, comme je l’ai dit hier, faut que t’arrêtes. Ça suffit avec cette liste de « potentielles belle-soeurs » qui tient pas du compte de ce que je veux vraiment. Tu peux te la mettre où je pense. T’as qu’à prendre exemple sur la liste d’invitation du Premier Ministre pour la floraison des cerisiers.[3]

En mentionnant une telle satire sociale, je tiens à souligner que j’ai un intérêt prononcé pour la politique et que je présente au poste de gouverneur de la préfecture de Chiba lors des prochaines échéances électorales (salut, c’est moi). Nous allons bâtir un Chiba encore plus grand…

Mais il semblerait que Komachi ne s’intéressait toujours pas pour la politique, alors qu’elle ignora mon programme électoral pour la gouvernance de la préfecture et passa à la suite sans moi.

— Komachi pense que si elle devenait ma belle-soeur, Yui serait en plus une très, très bonne épouse pour toi, frérot.

— Non, non, non, dis-je, en tendant sans attendre l’index devant moi, Objection ! Évidemment qu’elle ferait une épouse parfaite pour n’importe qui. Pourquoi limiter la liste des partenaires potentiels à moi seul ? Par conséquent, les propositions sous le régime des conditions susmentionnées sont déclarées irrecevables. Eeeet bim, dans tes dents.

Le dégoût sur le visage de Komachi paraissait vraiment réel.

— Woah, ce que tu peux être pénible… C’est pas pour rien que Komachi un mal de chien à te trouver quelqu’un, tu sais ?

Quand je l’entendis être un peu plus sérieuse, ma tête tomba en avant.

— Ouais.

Je n’avais pas d’autres choix que de me calmer.

Satisfait de ma repentance, Komachi reprit ses esprit et continua :

— Hmmm, et du coup, le deuxième choix de Komachi…

— Euh… La phase de sélection est pas encore terminée ? dis-je, plus qu’effaré.

Mais Komachi bomba le torse avec fierté.

— Un peu, mon n’veu ! Komachi a encore tout un tas de cartes à jouer, tu sais !

— Hé ho ? Tu pourrais arrêter de parler de mon marriage comme si c’était un duel ? Même en envoyant ton grand frère au cimetière, t’as pas le droit d’invoquer une grande soeur. [4] Le point de coût d’une femme est trop élevé, et un divorce immédiat est tout à fait envisageable aussi.

Lors de mon tour, je jouais les trois cartes divorce, séparation des biens et pension alimentaire et mis fin à mon tour. Et maintenant, si elle activait la carte piège incompatibilité de personnalités, le combo divorce et retour chez les parents allait être complet.

Mais Komachi ignora ce comba, fit mine avec ses mains de mettre une boîte invisible de côté et continua :

— Hmm, bah, si on laisse ça de côté… Pourquoi ne pas sortir des sentiers battus et tenter Miura ?

— C’est pas qu”un peu sorti des sentiers battus là… Nan, ça n’arrivera jamais. Impossible. On parle de Miura, hein ? C’est mort. Prends ça un peu plus au sérieux, Komachi, même si c’est pour plaisanter. Peut-être que c’est juste histoire de pour toi, mais l’avenir de ton frère est dans la balance.

— Eh ben, tu la pas recaler à moitié, frérot… Un peu comme si tu l’aimais plus que tu veux bien le dire…

Bah, c’est sûr que je déteste pas l’idée en tant que telle… C’est quelqu’un de bien… Mais si je disais ça, même sur le ton de la blague, Komachi sauterait sur l’occasion, alors j’éclaircis ma voix avec un gefum, gefum.

— Bah, peu importe ce que je pense d’elle, elle peut pas me blairer alors bon…

— Ouais, je crois que c’est le cas de la plupart des gens, soit dit en passant… dit-elle l’air de rien tout en posant à nouveau une boîte invisible dans un coin de la table.

Je ne comptais pas laisser passer ça.

— Bah ouais ? Je veux dire, je sais bien, alors je compte laisser passer ça.

Si elle continuait à mettre les choses de côté comme ça, elle allait finir avec un énorme tas de boîtes invisibles.

— Je sens que Miura ferait une super maman, par contre, dit Komachi.

— Ouais, je pense aussi. Et ses enfants auraient de longues coupes mulet. Et autour du CM2, elle irait se faire teindre les cheveux et provoquera l’émoi dans son école.

— Ouaiiiis… Le genre de personnes qu’on voit souvent dans les supermarchés de hard discount avant le marriage, et qui, une fois une famille fondée, passent leur temps au centre commercial…

— Euh, ça, c’est plutôt Kawasaki. Miura a des standards bien plus élevés. Elle irait dans les magasins d’usine et une fois par an à Isetan ou quelque chose du genre.

— Je saias pas faire la différence… Bon, suivante, dit Komachi en poussant un soupir et passant à la suite.

Elle bût son café pendant un moment avant de dire, comme si elle venait juste d’y penser :

— Oh, et Ebina alors ?

Ce n’était pas un nom que je m’attendais à entendre. Je plongeai dans mes pensées.

— Ahhh… Bah, on est tous les deux complètement désintéressés. Mais vu qu’on traîne jamais ensemble et qu’on interagit pas des masses ensemble, peut-être que ça serait pas totalement inenvisageable. Si on part du principe qu’on n’aurait pas de vie de famille, et qu’on partageait les bénéfices du régime matrimonial, je me dis que ça serait contractuellement viable, déclarai-je.

Komachi fit une mine écoeurée, beurk.

— Ça fait vraiment trop couple moderne ta façon de parler… Au fait, c’est quoi ce régime dont tu parles ?

— Apparemment, c’est plus facile de souscrire à un prêt quand on est marié. Et il y a le foyer fiscal qui illustre le système d’exemption d’impôt. Et c’est pas tout, tu peux t’en servir comme d’un bouclier contre les critiques virulentes de la société envers les célibataires, dis-je, étalant mes vagues connaissances sur le sujet.

Komachi sembla être prise au dépourvu, son visage devenant de plus en plus triste avant d’être empli de pitié :

— ………… Tu trouves pas que ta conception du marriage est complètement tordue, frérot ?

— Bah, c’est juste un exemple parmi tant d’autres. Je dis juste que c’est une façon moderne de voir les choses, tu vois ?

Je n’en ai peut-être pas l’air, mais je vise le poste de futur gouverneur de la préfecture de Chiba. Il faut me montrer ouvert à toutes les formes plus libérales de styles de vie, et ne pas me cantonner à l’image traditionnelle de la famille.

Après en avoir appris un peu plus sur mon programme électoral pour la préfecture de Chiba, Komachi se mit à réfléchir. Puis, comme si elle était presque convaincue.

— Je vois… Dans ce cas, au pire du pire, si tu finis par te marrier avec Hayama, Komachi comprendra.

— Non, n’importe quoi. Pas Hayama. Plus que le sexe et tout, nos personnalités ne collent pas du tout, répondis-je en quelques secondes, tout en me rappelant d’être inclusif sur le chemin.

Afin d’éviter de se faire reprendre de volée par ce Noble Phantasm[5] qu’était le Bâton du Politiquement Correct, je rejetai l’idée pour la simple et bonne raison, qu’au final, Hayama et moi n’étions pas compatibles.

Komachi devait l’avoir bien compris, parce qu’elle passa au candidat suivant.

— Oh, du coup, qu’est-ce que tu penses de To– ?

— Je l’aime, répondis-je sans attendre.

Ça dépassait l’entendement. Au diable la gouvernance de la préfecture de Chiba – j’étais prêt à viser celle du pays pour changer les lois.

Mais je m’étais laissé un peu trop emporté par mon enthousiasme.

— Trop rapide, frérot, dit Komachi, atterée. J’ai même pas eu le temps de prononcer son nom en entier… J’étais sur le point de dire Tobe…

— Oh, ah bon…? Attends une seconde, c’est qui, ce Tobe ? dis-je.

Komacha poussa une fois de plus un profond soupir. La pièce était bien trop chaude pour que cette lente expiration ne se transforme en brume blanche, mais j’arrivais malgré tout à y discerner un grand panel de couleurs qui exprimait ses sentiments.

— Bah, tant que t’es heureux, frérot, Komachi se contentera de n’importe qui.

— Dans ce cas, il faut que je te rende heureuse d’abord, vu que c’est mon billet pour le bonheur. Et çà, ça valait son pesant de points Hachiman.

Après avoir volé sa réplique, Komachi me lança un regard hésitant. Mais juste l’espace d’un instant, avant d’esquisser un sourire exaspéré :

— La route est encore longue… dit-elle d’une profonde résignation, avant de prendre les mugs, se lever du kotatsu avec un hop, et se diriger vers la cuisine.

Tout en la regardant partir, je fus pris par des sentiments tout aussi sérieux. Pardon à ta future belle-soeur, mais je tiens à te garder comme MA petite soeur pendant un peu plus longtemps.

XXX

Tout en attendant que l’eau bout dans la cuisine, j’observai mon grand-frère qui était sous le kotatsu en train de jouer avec le chat.

Je lui avais mentionné plusieurs options différentes, mais je n’étais pas si inquiète que ça, du point de vue de Komachi. Quand on a pu l’observer de près pendant plus de quinze ans, on finit par lui trouver des bons côtés – même s’il est vraiment un peu trop naze – et on peut aussi se dire que peut-être que quelqu’un de bien finira par le remarquer aussi.

Quelqu’un qui le tirera vers le haut, ou le poussera par le bas, ou qui interagira avec lui d’une autre façon…

Komachi ignore de quelle forme il s’agira, mais j’ai le profond sentiment que quelqu’un prendra sa main dans tous les cas.

Jusqu’à ce jour, Komachi continuera à chercher une belle-soeur (provisoire).

Notes#