Chapitre 3#

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Le type qui était intéressé

Après être arrivé à l’école ce matin-là, Taichi Yaegashi ne passa pas par sa classe, mais se dirigea directement au local du club situé au troisième étage du bâtiment récréatif. C’était parce que sur le chemin, il avait reçu un message de la part de Kiriyama : « En arrivant au lycée, merci de te rendre directement au club ! (PS : c’est un ordre) »

Après tout, il aurait été étrange s’il avait ressenti du plaisir après cet incident où il avait échangé sa personnalité avec celle de Nagase.

Juste après être entré dans la pièce, il aperçut Iori Nagase qui avait un regard désorienté et perdu, allongée sur le canapé. L’aura irrésistible qu’elle dégageait habituellement semblait avoir disparu. Il ne savait pas si c’était parce qu’elle était trop fatiguée ou autre chose, mais il avait l’impression que l’existence même de Nagase était une illusion.

— Salut. T’es Nagase, pas vrai ?

la salua Taichi avec une question qu’il ne poserait généralement jamais.

— Salut, Taichi ! Et toi, t’es toi… pas vrai ?

C’était une étrange conversation.

Les autres membres du club arrivèrent au local une minute plus tard.

— Salut, Ao…

Nagase se tut.

C’était parce qu’Aoki ressemblait à un patient anémique au moment de pénétrer dans la salle.

On avait l’impression d’assister à un remake de la scène de quelques jours auparavant.

— Ça va…?

demanda Taichi en frémissant.

— Oui… ça… Comment ça pourrait aller ?!

Bien entendu, Aoki (sans compter ses traits tirés) ressemblait à un ado littéraire, frivole grand et fin. Cependant, le ton de sa voix…

— C’est toi… Yui ? Encore ?!

demanda Nagase d’une voix intentionnellement enjouée.

Trois jours auparavant, Yui Kiriyama avait permuté avec Aoki.

Encore un « échange d’âmes » ?

— Ouais ! C’est moi, Yui Kiriyama ! Aha, j’en ai ma claque de tout ça… J’en peux plus…

Yui Kiriyama « Aoki » tremblait comme une feuille morte.

Elle avait beau crier « Je suis Yui Kiriyama », vu qu’elle avait l’apparence de « Aoki », il était difficile d’y croire. On avait juste l’impression que « Aoki » parlait volontairement comme une fille. Néanmoins, sa détresse montrait qu’elle ne plaisantait vraiment pas.

— Du calme, Kiriyama, on sait que t’as permuté avec Aoki.

Il était difficile à dire si c’était parce que sa patience avait atteint ses limites ou à cause de quelque chose d’entièrement différent, mais la tentative de consolation de Taichi n’avait aucun effet et Kiriyama « Aoki » explosa soudain de colère.

— Mais bordel ! Pourquoi il a fallu que ça soit Aoki ? Pourquoi il faut toujours que je termine dans ce « corps laid » ? J’aurais préféré permuté avec Iori…

— Elle se plaint un peu bizarrement…

En fait, c’était… très étrange.

— Salut !

Les trois membres du club se crispèrent en entendant le ton désinvolte de ce salut de la part de la personne qui venait d’arriver.

— Arg, pourquoi une réunion si tôt dans la journée ? C’est vraiment pas ma journée… Hmm ? Quoi ? Qu’est-ce qui se passe ? Pourquoi vous tirez cette tête ?

La personne qui parlait de façon insouciante avec une petite voix féminine était « Himeko Inaba ». Cela dit, celle-ci n’avait jamais parlé de la même façon que « Aoki » jusqu’à ce jour.

Boum ! Le dernier membre entra précipitamment dans la pièce, les épaules tremblantes tout en respirant difficilement.

Après avoir avalé sa salive, la personne à l’apparence de « Kiriyama » cria.

— Vous avez vraiment dit vrai…! J-Je suis devenue « Yui » !

— Ce-

Taichi leva la tête.

— Transfert-

continua Nagase.

— Est possible aussi…

conclua Taichi.

En voyant que la personnalité de Kiriyama était dans le corps « d’Aoki », que celle d’Aoki était dans le corps « d’Inaba » et que celle d’Inaba était dans le corps de « Kiriyama », le Club de Recherche Culturelle décida à l’unisson de sécher les premiers cours ensemble.

□■□■□

Cet après-midi-là, Taichi, Nagase et Inaba furent convoqués dans la salle des professeurs.

Leur professeur savait que les cinq membres du club avaient manqué les deux premiers cours et qu’ils n’étaient venus qu’à partir du troisième.

— Hmm… comment dire, c’est… Même si je pense que ça sert à rien, j’ai quand même une réputation à tenir, alors dites-moi tout pendant que je mange mon déjeuner… C’est un soba, vous savez, il risque de se ramollir si je le mange pas tout de suite.

Le professeur de physique de la 2nde C, Ryûzen Gotô (Go pour les intimes), avait ces trois élèves debout en face de lui pendant qu’il retira avec excitation le film plastique de son repas qui avait livré par la cafétéria.

— Moi aussi, mon ventre crie famine…

marmonna Nagase, debout à côté de Taichi.

— Après tout, vous êtes des élèves sérieux habituellement, alors j’aimerais bien savoir ce qui s’est passé… Aah ! Kof, kof… Ah, je me suis étouffé. Bah, ça arrive toujours quand on mange un truc chaud, non ? Hein ? Pas vous ?

— Laissez-moi vous poser une question, Gotô.

— Inaba-san, je vais me répéter, mais comme j’aspire à être un prof cool et amical, j’ai autorisé les élèves à m’appeler « Go ». Mais pour autant, je me rappelle pas avoir permis qui que ce soit de m’appeler par mon nom.

Gotô était comme il l’avait dit, et traitait les élèves de façon amicale, ce qui expliquait sa grande popularité. Il avait dans les 25 ans et avait des goûts proches des lycéens, ce qui devait beaucoup jouer.

— Vous pourrez continuer à blablater uniquement quand vous aurez fait ce que vous avez à faire ! Je me demande qui s’est occupée de la compta du précédent festival culturel, Gotô ?

— Ah, merci pour ton aide, Inaba-san, hahaha… Oh, et si tu pouvais éviter d’en parler devant les autres profs.

Même si son attitude était très amicale, il n’était pas vraiment un professeur modèle.

Gotô aspira une nouille et but un peu de bouillon tout en gardant la nouille dans sa bouche.

L’estomac de Nagase gargouilla de façon mignonne. Taichi lui jeta un bref coup d’œil. Elle lui tirait la langue d’un air taquin, mais il ignorait si c’était pour masquer son embarras. Elle se comportait toujours de façon mignonne. Et personne ne pouvait y résister.

— Bon, qu’est-ce que je voulais dire déjà… Ah, c’est vrai, qu’est-ce que vous avez fait pendant les cours manqués ? Aoki et Kiriyama ont également séché les deux premiers cours… Tous les membres du Club de Recherche Culturelle en fait. Du coup, en tant que parrain du CRC, l’heure est grave ! Bon, je vais d’abord devoir vous faire la morale, en bon prof que je suis.

Gotô était le professeur référent du Club de Recherche Culturelle. En fait, c’était lui qui avait fondé ce club cette année.

— C’est rien de spécial. Hier, on a mangé des pains au chocolat qui se sont avérés périmés, du coup, on est venus tard parce qu’on avait mal au ventre… C’est tout, répondit Inaba de façon distincte d’un ton solennel.

En fait, elle avait ordonné à Taichi et Nagase de se taire et de s’abstenir de dire des bêtises.

— Aoki et Kiriyama répondront la même chose ? Visiblement, ils sont en train d’être interrogés par Hirata de la 2nde A.

— Évidemment.

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Les membres du Club de Recherche Culturelle s’étaient déjà accordés sur leur version des faits.

— Hmmm…

Gotô, toujours en train de mâcher son soba, leva les yeux en l’air comme s’il réfléchissait à quelque chose.

— Bref, j’ai aucune preuve que vous mentez, alors je vais jouer le jeu. Vous pouvez y aller maintenant !

Gotô pointa la sortie avec ses baguettes.

— Bon, on y va. Au revoir, lança Inaba.

Taichi et Nagase lui emboitèrent le pas après avoir à leur tour saluer Gotô.

Au moment où ils allaient sortir, Gotô leur dit :

— Faites en sorte de trouver une meilleure excuse la prochaine fois que vous séchez tous ensemble, ok ?

— On doit prendre ça pour une preuve de compassion ou de moquerie ? Les concernés semblaient ne pas s’accorder sur ce point.

Sur ce… Bien que personne ne les écoutait, les trois s’excusèrent formellement avant de quitter la salle des professeurs.

Dans le couloir, Nagase commenta rapidement :

— Sacrée Inaban, y’a que toi pour sortir de telles salades avec un tel culot.

— Sa façon de mentir tout en gardant une attitude arrogante…

— Un jour, j’ai l’impresson qu’elle deviendra une sacrée arnaqueuse, ou encore une de ces personnes qui organisent des accidents de la route juste pour soutirer de l’argent.

— Si c’est tout ce que vous avez à dire, taisez-vous !

interrompt Inaba pour mettre fin à l’avalanche de commentaires sournois de Nagase et Taichi.

— Hein, mais on te complimentait, non ?

répondit Nagase.

— … T’étais vraiment sérieuse, hein ?

Vu de cette façon, « l’échange aléatoire de corps et d’âmes entre trois personnes », en cas de publication (bien entendu, en partant de principe que quelqu’un y croie), ne se terminerait pas juste par un simple chahut. Du moins, Taichi et les autres semble-t-il pas ressenti de tels changements… mais manifestement, c’était juste une première impression. Des choses qui n’étaient pas visibles au premier abord se déroulaient peut-être déjà dans l’ombre.

Néanmoins, si seulement il ne pouvait rien…

… En un clin d’œil, les ténèbres s’abatirent.

Quand la lumière revint, deux filles inconnues se tenaient en face de lui. Bien qu’il semblait assis, il avait l’impression que son champ de vision était plus bas que d’habitude.

— Qu’est-ce qui t’arrive, « Yui » ? T’as l’air abasourdie. Hein, ton asperge est tombée par terre.

Peut-être le véritable danger était à venir.

— I-Il faut que j’aille aux toilettes.

— Hmm ? Quoi ? Mais on n’a pas fini de manger. Tu te sens pas bien ?

— Non… C’est pas ça… mais…

— Attends, je t’accompagne.

— N-Non ! C’est pas la peine !

Un échange de personnalité s’était produit entre Taichi et Kiriyama. Taichi « Kiriyama » avait évité la crise en se réfugiant aux toilettes. Soudain, le portable de Kiriyama sonna. C’était Inaba. Au moment où Taichi allait décrocher, il se retrouva à nouveau dans son corps.

Cela avait duré environ trois minutes.

Bien que ça avait été aussi court… Non, c’était justement parce que ça avait été aussi court que ça avait eu un effet accablant sur Taichi et les autres.

□■□■□

Il était midi et le dernier cours avait pris fin.

Aussi simple que cela pouvait paraître, peu importe ce qui pouvait arriver à Taichi et les autres, si ces problèmes n’affectaient pas leur vie en dehors de l’école, le monde pouvait continuer comme si de rien n’était.

Après avoir discuté avec d’autres professeurs et rangé ses affaires dans son sac, le professeur Gotô entra dans la salle et fit une brève déclaration. Une fois avoir donné quelques informations et confirmé les élèves qui étaient de corvée de nettoyage, la journée de cours prit fin.

Les corvées du jour se déroulèrent normalement.

Même si Taichi et les autres membres avaient connu leur pire tempête, le monde n’allait pas changer pour autant.

Taichi et les autres personnes de corvées se rendirent aux toilettes en quittant la classe ensemble.

Puis, un frisson parcourit son dos.

Au moment où il était sur le point de partir, il ressentit comme un regard qui l’épiait.

Il se rendit compte que c’était la déléguée qui avait assisté à l’échange de personnalité entre Taichi et Nagase la veille. C’était Maiko Fujishima. Nagase était à côté d’elle, et elle paraissait extrêmement gênée avant de faire signe à Taichi de s’en aller.

— L’équipe de corvée aujourd’hui n’a pas encore…?

— Ah, désolé, je suis à la bourre… Arrrg !

Au moment où Taichi arriva au local du club et ouvrit la porte, Nagase lui sauta dessus.

— Taichi…! Je… J’ai un truc à te dire !

Nagase se tenait devant lui et lui bloquait le passage. Comme pour réprimer sa colère montante, elle tremblait et son visage était rempli de confusion, de malaise et de nervosité.

— Ç-Ça va, Nagase ?

— Hier, avant que je débarque dans la classe… qu’est-ce qui s’est passé entre toi et Fujishima-san ?! Ahahaha !

Il fallait s’y attendre… Ça va être compliqué à expliquer maintenant.

— Hein, rien de particulier…

— C’est à moi d’en décider~ !

Il était assez rare de voir Nagase aussi énervée… Taichi crut entendre la voix d’Aoki, mais ce n’était pas le moment de se soucier de ça, parce que l’aura oppressante de Nagase se répandait petit à petit.

Si j’essaie de sortir une excuse bidon, ça risque d’aggraver ma situation ! Taichi décida alors de tout raconter dans les détails. Autrement dit, il lui expliqua que Fujishima l’avait vue se masser les seins.

— Quoiiiiiii~ ?! On m’a pelotée ?! Je peux plus me marier maintenant~ !

Des larmes montèrent aux yeux de Nagase.

— J-J’avais pas le choix, c’était juste pour évaluer la situation ! C’était pour confirmer si j’étais bien une fille ou non-

— Nan… ou plutôt, on s’en fout de ça maintenant… A-Alors, Fu-Fuji-Fuji-Fuji-Fujishima-san m’a… Aaaaahh !

Nagase tremblait comme une feuille morte. Peut-être était-ce ce qu’on appelle un état de peur panique ?

— Qu’est-ce qui te prend, Nagase ? Pourquoi tu te mets dans tous tes états comme ça ? Et surtout, c’est qui au juste cette Fujishima ?

Taichi sentit une étrange peur… Il était impensable que quelqu’un pouvait la mettre dans cet état, alors qu’elle était parfaitement insouciante même pendant l’échange de personnalité de la veille.

— Une seconde ! Avant ça, j’ai une question pour Taichi !

s’exclama Taichi.

— Elle fait quelle taille la poitrine de Io-… Aaaarg !

Inaba avait frappé Aoki. C’était vraiment triste de voir des lycéens être victimes de violence physique.

— C’est pas le moment ! Si tu tiens vraiment à savoir, je vais te dire, moi ! Iori a un bonnet C. Oh, et au fait, moi je fais du B, et Yui du A.

— Pourquoi tu leur as donné le mien aussi ?!

s’écria Kiriyama en se levant et faisant tomber sa chaise.

— Désolée, c’est sorti dans la foulée.

— Tu pouvais donner celui de Iori, mais pourquoi t’es sentie obligée de donner le mien dans la foulée ?! C’est vraiment pas cool !

Kiriyama se mit à rougir comme une tomate. Elle tapait la table pour se plaindre. Inaba gloussait de façon enjouée en direction de Kiriyama.

— C’est pas grave, Yui. Tu dois te faire une raison sur le fait est que t’as de petits seins, mais t’as quand même du charme !

dit Aoki en souriant allégrement, dévoilant ses dents blanches.

— Comment ça, me faire une raison ? Y’a rien à reconnaître ! Des fois, c’est mieux petit !

— Oh, je vois. J’étais pas sûr de comment fonctionner le système de bonnet. Alors comme ça, Inaba fait du B et Kiriyama du A…

— Taichi~ ! Comment tu peux rester aussi calme… Kof, kof, kof

Kiriyama s’étouffa à force de crier.

Il s’était passé beaucoup de choses, et sûrement que c’était encore loin d’être fini. Mais le fait était qu’il y avait de l’ambiance au CRC, et que ça n’avait pas encore changé.

Bien que Taichi et les autres s’amusaient depuis quelque temps, ils s’étaient remis à discuter sérieusement, étant donnée la gravité de la situation dans laquelle ils se trouvaient.

— Bah, on va récapituler ! La première fois est arrivée il y a trois jours… enfin, pour être précis, il y a deux jours, non ? Vu qu’il était déjà minuit passé quand Yui et Aoki ont échangé leurs personnalités,

énuméra la secrétaire Inaba tout fixant du regard le tableau noir.

— Puis, il y a eu l’échange entre Iori et Taichi après les cours hier juste après le début de notre réunion. Ensuite, il y a eu l’échange de ce matin où je suis devenue « Yui », Yui « Aoki » et Aoki « moi ». Enfin, il y a également eu ce bref échange entre Yui et Taichi… C’est à peu près tout.

— En y réfléchissant bien, on est vraiment dans une drôle de situation… à échanger, revenir puis ré-échanger… Ça me donne froid dans le dos,

murmura Nagase tout en laissant tomber sa tête sur la table.

— Maintenant, on va résumer ce en quoi consiste cet échange de personnalité ! Avant de commencer, il faut préciser que nos conclusions se basent sur nos premières observations jusqu’ici… Bon, primo, c’est arrivé du jour au lendemain. On a découvert aucune évènement déclencheur particulier. Deuxio, la durée de l’échange n’est pas constante. Le plus court échange a eu lieu ce midi aujourd’hui, pour une durée de trois minutes, et le plus long fut ce matin, pendant une heure et demie. En tenant compte des quatre échanges, on arrive à une moyenne de quarante minutes. Tertio, l’échange n’a eu lieu qu’entre nous cinq… Enfin, ça n’a pas encore été confirmé. Après tout, c’est bizarre que ce phénomène ne s’applique qu’à nous. Il est très probable qu’il touche d’autres personnes à l’avenir. Enfin, il arrive que cet échange implique trois personnes. Des commentaires jusqu’ici ?

— Ah, en fait, y’a un détail qui me turlupine.

dit Kiriyama en frémissant.

— Bah, vu qu’on n’a aucun élément concret, vas-y.

Inaba l’incitait à poursuivre, sans tenir compte de ses sentiments.

— Peut-être que c’est juste moi… J’ai déjà connu ça plusieurs fois maintenant, alors ça me met mal à l’aise. Quand Iori a échangé avec Taichi, le corps de ce dernier est tombé brusquement et il est resté inconscient quelque temps, non ? Et pourtant, le lendemain, quand j’ai échangé avec Inaba et Aoki – enfin quand je me suis retrouvée dans le corps d’Aoki – mon corps est pas tombé et ensuite…

Le regard de Taichi croisa celui de Kiriyama.

— C’est vrai. Je suis tombé sur la table quand j’ai échangé avec Nagase, mais j’étais encore confortablement assis lors de mon échange avec Kiriyama, et je tenais même des baguettes entre les doigts… Même si j’ai fait tomber l’asperge par terre.

— Oui, cette fois-là, seules mes jambes s’étaient un peu pliées, mais je suis pas tombée…

— Ça voudrait dire… que nos corps s’habituent ?

proposa Nagase de manière incertaine.

— Je vois. Dans ce cas, c’est très probable ! Bien joué, Yui… Mais est-ce qu’on devrait s’en réjouir…

La conclusion d’Inaba pesa énormément sur Taichi et les autres.

Jusque quand va durer ce phénomène ?

Est-ce qu’il s’arrêtera de lui-même si on ne fait rien ?

— Bon, s’il n’y a pas d’autres commentaires, je propose de discuter de façon pragmatique sur ce qu’on devrait faire.

Alors qu’elle avait eu du mal avec ce phénomène au début, Inaba avait enfin trouvé son rythme de croisière.

Avoir une vue d’ensemble de la situation – cela semblait être le crédo d’Inaba. « Trouver l’information clé pour comprendre et analyser la situation », telle était sa raison d’être.

— Déjà, il faut mettre au clair « la raison pour laquelle c’est arrivé ». Un tel phénomène ne peut être que la conséquence de quelque chose de logique, sinon, ça risque de devenir compliquer à gérer. Est-ce que vous avez une idée, les gars ? Je me rappelle pas avoir fait quoi que ce soit qui pourrait expliquer tout ce bordel !

— En fait, qu’est-ce qui a causé cet échange déjà ? Si on trouvait la cause de ce phénomène, ça pourrait peut-être nous aider.

— T’es débile ou quoi, Taichi ! On discute de ça justement parce qu’on n’en sait rien !

Je sais bien, mais c’est pas une raison de me traiter de débile, pensa Taichi.

— Hmm… Dans les mangas, ça a tendance à arriver quand deux personnages se cognent la tête très fort.

— Aoki… Toi et tes remarques débiles… Enfin, cette histoire est déjà débile en elle-même, alors je peux pas dire que ta remarque soit complètement à côté de la plaque…

En fait, quelqu’un avait fait une remarque pertinente, mais avait subi pire traitement.

— Bordel, quand on reconnaît quelque chose d’anormal, on en vient à devoir en reconnaître d’autres en chemin.

Agacée, Inaba se mit à se ronger les ongles.

— Si on réfléchit bien, on devrait-

C’est à ce moment-là que…

La porte s’ouvrit.

Généralement, à part les membres du Club de Recherche Culturelle, personne ne venait dans la salle 301 du Bâtiment Récréatif. Il n’y avait aucune raison de s’y rendre. Et même s’il y en avait une, jusqu’ici, cela n’avait concerné que des membres du CRC.

Du moins, dans la mémoire de Taichi, seuls les cinq membres du CRC étaient venus dans cette pièce depuis qu’elle leur avait été allouée au printemps.

Dans une certaine mesure, le local du club était un lieu sacré pour les cinq membres. Cependant, quelqu’un d’autre avait ouvert la porte menant à ce lieu.

La pièce fut soudain emplie par un sentiment d’inquiétude.

Une tragédie était sur le point de se produire.

Quelque chose « d’inhabituel » était sur le point de se produire.

Mais quoi donc ?

La personne derrière la porte était…

… le professeur principal de la 2nde C et référent du Club de Recherches Culturelle, Ryûzen Gotô.

— … Oh~… Bien le bonjour…

Sa voix manquait terriblement d’entrain.

— Gotô ! Ne débarquez pas au pire moment possible ! J’ai failli avoir une crise cardiaque !

Même Inaba qui était toujours sûre d’elle semblait également abasourdie par la situation. Néanmoins, il était inutile de crier sur Gotô.

— Eh biiien, ceci n’est pas mon problème…

Le visage de Gotô était un peu bizarre. Il semblait manquer de vie. Même ses yeux étaient à moitié ouverts.

— … Qu’est-ce qui vous arrive ? Vous ne vous sentez pas bien ?

demanda Inaba d’un air inquiet en voyant son teint blafard.

— Ce n’est rien, je vais parfaitement bien… Après tout, « cette personne » est étrangement constituée… C’est de ma faute s’il manque de vitalité, d’entrain, de confiance, de persévérance, etc.

La façon de s’exprimer de « Gotô » paraissait extrêmement différente de d’habitude, et ce qu’il disait était également dur à croire.

Diverses pensées se mirent à traverser les esprits de Taichi et les autres.

— Qui êtes-vous ?

lança Nagase avec un regard perçant et froid.

La « chose vivante à l’apparence de Ryûzen Gotô » se mit à parler :

— … C’est vraiment pratique que Nagase-san soit vive d’esprit… parce que tout expliquer est vraiment pénible…

— Hé, qu’est-ce que vous racontez… Ah ?

Inaba avait prononcé ces mots comme pour essayer de trouver d’autres possibilités.

— Beeen, ce ne sont pas ce genre de mots que vous devriez chercher, surtout dans cette situation…

— Une seconde, « Go », qu’est-ce qui vous arrive…?

demanda Kiriyama en frissonnant, ne sachant pas si elle arrivait à suivre ce qui se passait.

— Ce qui m’arrive ? C’est, évidemment, pour venir voir quelles expressions intéressantes vous allez avoir suite à « l’échange de personnalité ». Pour être franc, je n’ai pas vraiment envie d’être ici… Ah, et si vous pouviez arrêter de m’appeler « Go » ou Gotô ? Après tout, je ne suis pas lui… Même si cela ne me dérange pas outre mesure.

Cette déclaration de « l’être vivant dans le corps de Gotô » avait fait tomber la train-train quotidien des cinq membres du club tel un château de cartes et avait marqué leur cœur au fer rouge.

Même si quelqu’un (genre Inaba) avait suggéré que Gotô plaisantait parce qu’il avait épié leur conversation, aucun d’entre eux n’était prêt à accepter cette explication. Après tout, ce type avait décrit précisément chaque fait et geste de Taichi et des membres du club depuis le début du phénomène d’échange de personnalité – mêmes des points sur lesquels ils n’avaient pas discuté. C’était juste trop difficile pour ne pas croire que c’était vrai.

Qui plus est, si sa personnalité et son « corps » avait été échangés, il n’était pas insensé de penser que ça pouvait arriver à d’autres.

— … J’ai compris que « vous étiez anormal », et que « vous n’étiez pas le Gotô que nous connaissons »… Alors, qui êtes-vous ?

« Gotô » se mit à réfléchir quelques instants à la demande d’Inaba.

— Quelle personne… Quel genre de personne devrais-je dire… Mais j’ai effectivement un nom, « Pois de cœur »:abbr:` (Le Pois de cœur, ou Fûsen Kazura en japonais, est une plante grimpante avec des fruits circulaires en forme de ballons. Aussi appelée Cœur des Indes)`.

— « Pois de cœur »… Pourquoi le nom d’une plante aussi rare ?

marmonna Inaba, contrariée.

— … Ah… Qui sait ? Hmm, alors, dans mon cas, j’observe vos présences… Ah, laissez tomber. Oui, considérez que je suis quelqu’un d’insignifiant.

— Observer nos présences…? Mais… alors… et le vrai Gotô ? Il a été envoyé dans un « autre corps » ?

— Ah… C’est vraiment pratique que Yaegashi-san apprenne vite… Non, en fait, je n’ai rien fait d’aussi compliqué que « l’échange de personnalité »… Ou plutôt, je dirais plutôt que « j’emprunte son corps » ? Mais cela ne vous mènera à rien de comprendre cela… Ah, mais alors pourquoi en ai-je parlé… Pourrait-on revenir au sujet initial maintenant ? Ok. Je vais commencer pour pouvoir rentrer chez moi… Merci.

« Pois de cœur » sous « l’apparence de Gotô », avait vraiment l’air apathique. Il parlait à un rythme très lent et ne semblait pas se préoccuper de ce que les autres pensaient et ressentaient.

— Hein… Ça veut dire que vous êtes prêt à nous expliquer la situation en détail ?

Les paroles d’Aoki étaient étrangement formelles.

— Ah… peut-être… mais ça ne sera pas ce à quoi vous vous attendez… Après tout, répondre à vos attentes serait futile… Alors… maintenant… Ah, cela ne servirait à rien de prendre des notes. Ouais, tant qu’il y a Inaba, qui a une très bonne mémoire.

— Comment est-ce que vous savez ça…

« Pois de cœur » sous « l’apparence de Gotô » ignora le murmure d’Inaba et se mit à parler.

— Hm… Alors à partir de maintenant, et pendant encore longtemps, tous les cinq… vous allez aléatoirement échanger de personnalités. Tout d’abord, laissez-moi exprimer ma compassion, vous avez travaillé dur… Même si je ne le pense pas personnellement… Hein ? Est-ce que j’ai dit quelque chose d’inutile ? Ah… J’ai encore tout raté. Est-ce à cause de mon habituel monologue ? J’ai vraiment envie de changer cette manie… Non, en fait, je n’y ai pas vraiment beaucoup réfléchi, alors, soit…

— Est-ce que les personnes et les heures seront choisies au hasard ? demanda Nagase, après être restée silencieuse jusqu’ici, mais en faisant preuve d’un incroyable calme olympien.

Ou plutôt, elle semblait même encore plus calme que d’habitude, et sa voix était froide et détachée.

— Ahh… Tu as raison. Je te reconnais bien là, Nagase-san… Dans ce cas, je vais observer ton état pendant le prochain échange… C’est tout. Ah… Ne vous en faites pas, je ne vais pas m’immiscer dans vos vies privées jour et nuit. Je vais juste regarder s’il se passe quelque chose de spécial… Après tout, cela ne m’intéresse pas vraiment… Et puis, c’est assez fastidieux… Alors, est-ce que vous comprenez la situation ? De toute façon même si ce n’est pas le cas, je n’ai pas l’intention d’en dire plus.

— Ces explications ne suffisent pas…

murmura Taichi.

— Pff… Même si d’habitude, je vous aurais crié dessus en vous demandant « qu’est-ce que vous baragouinez », mais on est effectivement tombé dans une situation sans queue ni tête, alors laissez-moi vous poser quelques questions sur ce que vous venez de dire. « Pourquoi nous ? », « Est-ce que vous contrôlez tout ? », « Comment y mettre fin ? », « Quel est le but de tout ça ? ». Si vous pouviez déjà répondre à ces questions, même si j’en ai encore bien d’autres.

Inaba avait pris le relais de Taichi. « Pois de cœur » « Gotô » fixa Inaba d’un regard vide pendant quelques instants.

— Inaba, tu sais choisir tes questions… Particulièrement en n’ayant pas demandé « comment cela fonctionne »… Même si c’est le genre de questions qu’on poserait dans une situation pareille… Mais en y regardant de plus près, cela n’a pas vraiment d’importance… Ah… Mon monologue insignifiant était trop long…

« Pois de cœur » continuait de maintenir son apathie et son insouciance.

— Quoi qu’il en soit, tu as bien raison… Pour la première question, je ne peux que répondre « par hasard ». Ah… En fait, c’est parce que vous sembliez être des gens intéressants.

— Comment ça, « intéressants »…

dit Taichi à voix basse.

— Beeen, vos vies ne sont-elles pas plus intéressantes que les gens normaux ? Et puis, il y a des gens qui en sont conscients et d’autres pas.

« Pois de cœur » semblait s’adresser à Taichi, Nagase, Inaba, Kiriyama et Aoki.

Qu’est-ce que ça sous-entend ?

— Quelles étaient les autres questions déjà ? Si je contrôle tout cela, comment y mettre fin, et mon intention…? Alors dans l’ordre… Hein ? Est-ce que je suis vraiment en mesure de répondre à tout ça ? Ah… Rien ne m’y oblige. J’ai failli en dire trop… J’ai eu chaud ! Alors, maintenant, la seule chose que je peux vous dire, c’est de vous habituer à l’échange de personnalité. Quand j’aurais l’impression que « Ah, voilà qui est intéressant », alors tout cela s’arrêtera. Cela ne durera pas bien longtemps… Même si je serais incapable de définir ce « longtemps », et je n’ai de toute façon pas envie de le savoir…

— Quand vous aurez l’impression que « c’est intéressant »… C’est complètement subjectif, çà ! Cela implique donc que vous pouvez contrôler quand ça finira… Ça signifie également que c’est vous qui en êtes à l’origine,

lança violemment Inaba.

— Ahh… Est-ce que j’en ai trop dit… Ou est-ce que ma question n’a fait que le confirmer ? Quoi qu’il en soit, n’y prêtez pas trop attention… Vivez vos vies comme à votre habitude, parce que s’en inquiéter n’est qu’une perte de temps. Dites-vous simplement que « quoi qu’il arrive, tout est bien qui finira bien, alors il n’est pas nécessaire de se plaindre ». Ne vous en faites pas, aucun mal ne vous sera fait… Et puis, ne cherchez pas à comprendre comment fonctionne cet « échange de personnalité »… Vous ne comprendriez pas de toute façon… Si vous avez vraiment du temps à perdre, contentez-vous de réfléchir à ce qui vous concerne. Cela conduira plus efficacement à mettre un terme à cette situation… Vous serez contents, et moi aussi. Ah… C’est vraiment gratifiant.

Voulait-il qu’on se contente d’accepter tous ces évènements comme tels ? Cette étrange situation ?

— Aurais-je oublié quelque chose… Ah, c’est vrai, merci de garder cette histoire d’échange de personnalité pour vous et assurez-vous que les autres n’apprennent rien… Vous devriez comprendre. Si cela venait à se savoir, cela vous causerait plus de problème à vous qu’à moi. J’insiste sur ce point.

« Pois de cœur » se gratta la tête, comme pour essayer de se remémorer de quelque chose, puis, il laissa vagabonder son regard en l’air.

— Bon… je crois que j’ai dit tout ce que je devais dire… Par ailleurs, j’ai décidé de m’en aller comme si rien ne s’était passé… Bon courage ! Je vous soutiendrai du plus proche du haut de mon cœur… Enfin, je devrais dire « du plus profond » même si c’est un mensonge.

« Gotô »… ou plutôt « Pois de cœur » se retourna et se dirigea lentement vers la porte du local.

Il marchait sans prêter attention à Taichi et les autres. Il s’était contenté de dire ce qu’il avait à dire et de partir comme il était venu.

— Hé, une seconde.

… Bien entendu, la personnalité d’Inaba l’empêchait de le laisser filer si facilement.

Elle s’approcha rapidement de « Pois de cœur » et l’attrapa par l’épaule.

— J’ai écouté sagement tout ce que vous aviez à dire, mais j’ai encore une tonne de questions pour vous. Et puis, vous avez pas répondu à aucune de mes questions !

Il n’y avait aucune trace de peur dans ses paroles.

— Comment on pourrait vous laisser partir si facilement alors qu’on s’est retrouvés dans cette histoire à dormir debout ?

Nagase fit craquer les os de ses poings derrière Inaba.

Quand l’éternelle ambitieuse Inaba et l’incontrôlable tête de mule de Nagase unissaient leurs forces, elles étaient inarrêtables.

— Alors… laissez-moi vous dire, il y a des choses que vous ne devriez pas faire… Je n’ai pas l’intention de m’opposer à aucun d’entre vous… C’est la vérité… Mais je n’ai pas non plus envie d’être ami avec vous… Oh, j’aurais mieux fait de ne pas dire ça,

dit platement « Pois de cœur », qui semblait être ennuyé par l’attitude d’Inaba, en se tournant lentement.

— Va pas croire que tout va se passer comme tu le souhaites !

Inaba usa d’encore plus de force pour obliger « Pois de cœur » à se retourner.

Les yeux de « Pois de cœur » brillèrent intensément l’espace d’un instant.

Bam !

Un bruit de chair et d’os qui craquaient ensemble résonna.

Dans le même temps, le corps d’Inaba vola dans les airs.

Elle atterit directement sur Nagase qui était debout derrière elle, et même Aoki fut pris dans sa chute. C’était digne d’une scène d’un film d’action.

Chaises et tables tombèrent au sol.

Des grognements émergèrent.

Inaba était tombée sur Aoki. Elle se tint la poitrine, puis toussa avant de commencer même à vomir. C’était comme si elle avait reçu un coup de coude au plexus.

— Aaaaarg…

Nagase avait fait une lourde chute sur le sol. Elle se massait la hanche pour atténuer la douleur. Même si ce qu’elle faisait était un peu bizarre, elle semblait aller bien au final.

— Je ne voulais pas faire ça, même si vous dévoler mes pouvoirs auraient pu tout résoudre beaucoup plus rapidement… Ah, je n’ai pas envie de faire ça… Après tout, c’est vraiment pénible.

Au moment où « Pois de cœur » se remit à parler, l’atmosphère tendue reprit ses droits.

C’était un immense choc.

Si quelqu’un venait à demander ce qu’il y avait de si choquant, Taichi aurait été incapable de répondre, mais il était persuadé que ça l’était.

Inaba, qui tentait de faire disparaître la douleur, parvint à lâcher d’une voix rauque :

— Les gars… kof, kof, kof… le laissez pas… s’échapper !

— Inaba, arrête.

Aoki prenait soin d’elle tout en parlant.

— … J’ai beau être contre l’usage de la violence, je crois que c’est nécessaire maintenant, dit Taichi tout en s’avançant.

« Pois de cœur » se mit soudain à le regarder tout en restant parfaitement immobile.

Il produisait un sentiment de malaise et d’incompréhensibilité tout en ayant l’apparence de « Gotô ».

Mais comme l’avait dit Inaba, ils ne pouvaient pas laisser partir « Pois de cœur ». Il était bien trop impliqué dans leur situation actuelle. S’ils le laissaient partir, ils risquaient de plus jamais le revoir. Et puis, il semblait impossible de le convaincre verbalement. L’usage de la force était donc nécessaire.

… Taichi pensait qu’il devait endosser seul la responsabilité de ce cas de force majeure.

L’apparence de « Gotô » rendait la chose compliquée. Mais malgré tout, c’était crucial.

Avec ce fait en tête, Taichi s’avança, mais un bras se tendit devant lui.

— Attends, Taichi, je m’en charge.

La personne à qui appartenait ce bras était… Kiriyama.

— Mais, si je fais pas…

— Taichi, y’a aucune raison pour que ce soit toi qui le fasses.

Kiriyama tenta d’esquisser un doux sourire pour masquer le léger froncement de ses sourcils. Elle était quelqu’un de têtu et d’excessif.

— Et puis, je suis bien plus forte que toi, non ? Tout ira bien, je vais m’occuper de lui !

Taichi, bien qu’il voulait lui répondre, se tut et se mordit la langue. Kiriyama était effectivement plus forte que lui. En tant qu’homme, il était plus fort qu’elle. Mais en situation de combat, Kiriyama, championne de karaté full-contact et considérée comme une prodige dans la discipline, était bien plus forte.

Mais sa voix tremblait.

Ainsi…

— Alors allons-y ensemble…

— Reste en arrière.

La suggestion de Taichi fut refusée avant qu’il eut le temps de finir.

— Yui ! Laisse-moi ai-…

— Dégage !

Elle ne montrait jamais aucune pitié pour Aoki.

Tout en se tenant légèrement sur la pointe des pieds, Kiriyama écarta ses jambes. Elle était en position de combat. Sa chevelure châtain volait dans les airs pendant quelques millisecondes avant d’être attirée par la gravité et de retomber.

L’aura de Kiriyama avait radicalement changé.

Du haut de son mètre cinquante et quelques, Kiriyama, malgré sa petite taille, émanait une aura qui semblait dire qu’elle attaquerait quiconque bougeant le petit doigt.

Sa posture était celle d’un taureau dans un magasin de porcelaine.

Mais « Pois de cœur » ne montra aucun signe de peur et la regardait d’un air vide.

— Désolée de vous avoir fait attendre… Ou plutôt, pourquoi est-ce que vous vouliez m’attendre ? Vous n’avez montré aucune intention de fuir.

demanda Kiriyama tout en réduisant petit à petit la distance qui les séparait.

— … Ah, vraiment… J’aurais mieux fait de fuir… Mais j’ai pu voir quelque chose d’intéressant, alors… Mais c’est juste une technique évidente pour que les gens se demandent si c’est vraiment le cas…

— … Je vais vous passer l’envie de rester calme et détendu.

Kiriyama fit un grand pas en avant dans le même temps.

Puis elle enfonça fortement son pied dans le sol lors de son deuxième pas et sauta en avant.

— Pardon, « Go » !

Son coup de pied sauté était tel un aigle écartant ses griffes pour saisir sa proie.

Malgré la différence de plus de 20cm de hauteur, le coup avait directement heurté le visage de « Pois de cœur » – enfin, avait été arrêté par son bras juste avant qu’il ne touche son visage.

Kiriyama avait visé sa tête et avait frappé à une vitesse extrêmement rapide.

Pour autant, « Pois de cœur » avait arrêté le coup sans le moindre effort.

Pour quelqu’un de normalement constitué comme Taichi, ce qui se passait sous ses yeux était déjà choquant, mais la suite du combat dépassa vraiment de loin tout ce qu’il aurait pu imaginer. Il n’aurait pas cru que ça allait continuer après qu’elle eut atteri sur le sol.

Kiriyaam envoya un coup de poing à mi-hauteur.

Ses cheveux gracieux faisaient office de faire-valoir à sa magnifique posture d’oiseau.

Mais…

« Pois de cœur » se comportait comme si de rien n’était et se servit de sa main libre pour attraper le poignet droit de Kiriyama.

Malgré la facilité avec laquelle « Pois de cœur » avait agi, même Taichi savait que c’était presque impossible pour un humain normal.

Au moment où Kiriyama atterit sur ses deux pieds, elle s’assit par terre, exténuée. On avait juste attrapé sa main droite, mais à en juger par son teint pâle, elle avait déjà perdu tout son moral.

Elle baissa la tête et se mit à gémir comme un nouveau né qui ne pouvait rien faire d’autre que pleurer. Sa puissante aura avait disparu en un éclair.

— Yui !

— Kiriyama !

Nagase et Taichi se ruèrent au chevet de Kiriyama.

Et à ce moment-là…

La vision de Taichi se déforma et disparut.

L’instant d’après, il était à genoux en train de tenir le corps d’Inaba.

Il fut désorienté l’espace d’un instant.

Puis, il comprit ce qui venait de se passer.

S’il tenait Inaba dans ses bras, cela signifiait qu’il était devenu « Aoki ».

« Inaba » se mit à tousser dans les bras de Taichi « Aoki ».

— Hé, ça va ?

Kof, kof, kof… Inaban, ça fait vraiment mal.

« Inaba » avait dit « Inaban ». Parmi les membres… non, l’école toute entière, une seule personne l’appelait de cette façon, et c’était Nagase.

Taichi leva la tête pour confirmer ce qui se passait autour de lui.

Dans un coin, il pouvait voir quelqu’un avec l’apparence de « Taichi » allongé de façon impuissante par terre. À en juger par ce qui venait de se passer, cela devait être Kiriyama.

Après avoir été aggripée au poignet par « Pois de cœur » et toujours assise par terre, « Kiriyama » ne pouvait toujours pas bouger. Taichi vit que son visage était aussi pâle qu’un linge.

Puis, quelqu’un à l’apparence de « Nagase » croisait les bras et se tenait debout en faisant les gros yeux.

— Aaah, se pourrait-il… qu’il vient d’y avoir un échange de personnalité ? C’est peut-être… un peu intéressant,

dit « Pois de cœur » sans montrer le moindre intérêt tout en jetant un œil au chaos ambiant.

— Ah… on dirait que cela tombe bien pour moi, il faut que j’y aille maintenant…

« Pois de cœur » lâcha la main de « Kiriyama » et tendit la sienne vers la porte.

— Hé, répondez à au moins une dernière question avant de partir !

La personne qui avait interpellé « Pois de cœur » était celle à l’apparence de « Nagase ».

— On sait qu’on peut pas vous arrêter, alors je voulais savoir… est-ce qu’on pourra vous revoir… vous, « Pois de cœur » ?

— … C’est difficile à dire. Quand tout cela finira, nous devrions nous revoir. Mais je ne peux pas vous le promettre. Ah, cette personne est « M. Gotô », n’est-ce pas ? Ne soyez pas trop durs avec lui… Et puis, je n’ai pas envie que vous perdiez du temps avec ça.

— Hm… Ça veut dire qu’il va être compliqué de riposter… Hmph ! Peut-être que c’est pas vraiment le cas… « Pois de cœur », j’ai tellement envie de vous détruire, mais j’en suis incapable… C’est vraiment lamentable. Est-ce que je peux dire ce que j’ai observé à la fin ?

« Nagase » riait sans peur et parlait avec une voix attentive. La seule personne qui pourrait en être capable dans ce genre de situation était Inaba.

— Quand vous êtes arrivé, vous avez dit que vous étiez venu parce que nos visages apeurés quand nos personnalités permutaient étaient amusants. Autrement dit, si cela ne l’avait pas été, vous ne seriez pas venu. Aussi, vu que vous avez été impressionné par mes questions, cela implique que vous avez déjà fait ça plusieurs fois, pas vrai ? D’un autre côté, si vous avez un nom, à savoir « Pois de cœur », cela veut dire qu’il y a d’autres gens comme vous, non ?

Malgré la situation, Inaba était parvenue à comprendre les motivations de l’adversaire en se servant du peu d’informations dont elle disposait. Même si elle avait l’apparence de « Nagase », elle souriait d’un air machiavélique. C’était vraiment effrayant.

— … Qui sait ?

se contenta de répondre « Pois de cœur » après avoir écouté Inaba.

Pour la première fois, « Pois de cœur » avait infléchi le coin de ses lèvres. C’était une expression qui n’avait jamais montré « Gotô »… Un visage sombre avec un sourire inquiétant.

D’invisibles menaces s’abattaient entre Inaba « Nagase » et « Pois de cœur » « Gotô ».

Mais ensuite, « Pois de cœur » retrouva son apathie précédente.

— Bon… Je vous souhaite à tous bon courage… Ah… Je n’ai pas le moindre enthousiasme et je n’ai pas l’intention de vous encourager, mais j’ai dit ça à cause de l’ambiance… Peut-être que j’avais juste envie de dire ça.

« Pois de cœur » avait lâché ces mots, confiant un fardeau à Taichi et les autres, avant de quitter la pièce.

Depuis le temps, Taichi avait deviné qu’Aoki était la personne à l’apparence de Kiriyama par élimination.

À ce propos…

Plus tard, toujours intrigués par ce qui s’était passé, les membres du club s’étaient rendus dans la salle des professeurs et avaient aperçu le professeur référent du Club de Recherche Culturelle. Quand ils demandèrent ce qu’il faisait, il répondit, « Quoi ? J’étais en train de remplir ce formulaire… Bizarre. Tiens, comment ça se fait que j’ai toujours pas avancé après tout ce temps ? C’est vraiment bizarre ! Vous devriez l’ajouter aux sept merveilles de l’école et le publier dans le prochain numéro de RC Magazine. » Inaba sembla incapable de le supporter. Puis « Hmm ? J’ai un peu mal à la main gauche… Oh ? Elle est toute rouge ! Un instant, ceci explique cela… J’ai compris ! J’ai mal parce que je me suis endormi sur ma main gauche ! Ce… C’est donc ce qui s’est passé ! Haha… J’en ai mal à la tête… » Ces mots firent exploser Inaba et, malgré qu’elle se trouvait dans la salle des professeurs, elle utilisa un headlock sur Gotô (25 ans, professeur) et fit tourbillonner son poing contre sa tête.

— Aïeaïeaïeaïeaïeuuh, Inaba-san ! Je reste ton prof, tu sais !

— Dans ce cas, vous devriez penser et vous comporter comme tel ! Vous aider est une perte de temps et d’énergie !

Taichi semblait comprendre pourquoi « Pois de cœur » s’était servi du corps de « Gotô », même si cela n’était qu’une hypothèse sans fondement.