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Édition en cours

Chapitre 1#

Titre

Encore et toujours, Komachi Hikigaya se cherche une belle sœur

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Je crois que c’était Sojun Ikkyû qui a écrit le poème « Chaque Nouvel An est une nouvelle étape dans notre voyage vers l’au-delà ». [1]

Quel sagesse. Vraiment. Et le truc le plus sage dans l’histoire, c’est que c’est trop, genre, sage, mec. Le fait que son nom veut littéralement dire « prendre une pause »[2] vaut également son pesant de cacahuètes.

Rien ne vaut un jour férié. Quel mot merveilleux, je parie qu’il mettrait Godiebo [3] en transe.

La plupart des fêtes où les gens souhaitent un « Joyeux ceci ! » ou un « Bon cela ! » – et je ne parle pas que du Nouvel An, mais également des anniversaires, des désintégrations et que sais-je encore – ne sont pas si joyeuses que ça, vu qu’elles impliquent un passage du temps.

Tous les évènements célébrés en société sont au final annonciateurs d’une fin. Avoir un an de plus est une année de moins avant la fin de sa vie, et on peut dire que les fêtes de désintégration précèdent une forme d’expulsion. De nos jours, quand un groupe d’idoles se fait virer, on appelle ça une « diplomation » juste pour faire beau. Quand on y pense sérieusement, ça n’a plus rien d’une occasion joyeuse. La seule bonne nouvelle dans cette histoire, c’est mon cerveau insouciant. Kya-ha ! Quelle chance ! À une nouvelle année banale ! [4]

Et d’ailleurs, j’ai bien la ferme intention de faire une Sojun Ikkyû et glander pendant le Nouvel An. Tranquille, tranquille, une sieste par-ci, une autre par-là… [5] Mais malgré tout, ce plus pur produit made in Japan va fêter cette New Year dans son coin, sans fioriture, sans prise de tête ! [6] Ah, zut alors, ça fait vraiment trooooop japonais de recracher des mots anglais au hasard comme une chaîne de téléshopping alors que c’est à peine si je sais parler anglais…

Au final, Komachi me traîna dehors pour la traditionnelle visite au temple du Nouvel An.

On y a retrouvé Yukinoshita et Yuigahama au temple Inage Sengen pour y faire des choses nouvel-an-tesques comme tirer au sort des divinations, et quand on croisa Miura et sa bande, Yuigahama se joignit à eux, et puis ce fut au tour de Komachi d’annoncer qu’elle avait oublié d’acheter un charme de protection avant de filer à l’anglaise…

Pour faire court, après avoir été lâchement abandonnés, Yukinoshita et moi prirent directement la direction de la maison.

Même si ce n’était pas loin et que ça n’avait pas pris tant de temps que ça – tout juste quelques stations de métro – chaque instant est gravé au plus profond dans mon esprit. Je ne crois pas être en mesure d’oublier cette pression timorée sur ma manche à certains moments, ou encore sa petite main juste à peine levée au moment où nos routes se sont séparées.

Et ainsi, mon Nouvel An avait enfin touché à sa fin.

Après avoir été emporté par la vague des amateurs de temple (sans qu’on m’ait fait les gros yeux de loin) [7], j’en avais terminé avec les festivités du Nouvel An, et je retournai dans ma maison vide.

Mes parents étaient sûrement sortis quelque part. Je me mis à somnoler sous le kotatsu, le chat familial dans les bras, alors que j’attendais le retour de Komachi.

Bah voilà… C’est exactement comme ça qu’il faut passer le Nouvel An…

Pas la peine de croiser la route de filles le premier jour de l’année et d’avoir son cœur qui bat la chamade. Mon petit cœur a bien droit de déconnecter le jour du Nouvel An quand même ! Enfin, s’il le fait pour de vrai, je suis mort.

XXX

Un bruit sourd me réveilla. Il semblerait que je me sois vraiment endormi en glandant sous le kotatsu. Alors que je sursautai, Komachi était là, assise en diagonale, tout en me lançant des regards noirs. Elle poussa un des mugs sur la table dans ma direction.

Je l’acceptai avec gratitude.

— … Oh, merci… T’es rentrée tôt.

— C’est Komachi qui devrait dire ça…

Un demi-sourire vide se dessina sur son visage et elle prit une gorgée de son café avant de s’appuyer sur le kotatsu et demander :

— … Alors, frérot, c’était comment ?

— Rien de spé'. Comme d’hab', répondis-je de façon insouciante, incertain d’où elle voulait en venir.

Komachi secoua sa main comme pour dire, « Mais bien sûr ».

— Allons bon. Comme d’hab' ? T’es plus un collégien en pleine crise d’ado.

— E-Euh… Et toi non plus, si on va par là…

Si je peux me permettre, ma propre sœur a tendance à avoir un avis un peu trop long-termiste. Genre, comme une femme au foyer.

C’était ce que je pensais alors que Komachi se pencha en avant avant de prononcer des mots digne d’une commère :

— Vous êtes rentrés ensemble, toi et Yukino, non ? Il s’est rien passé ?

— Si marcher ensemble suffisait à causer un accident, j’aurais bien trop peur de ce que le monde me réserve. Pourquoi tu crois qu’ils font marcher les primaires en groupe de nos jours ? Faut que tu prennes plus conscience du danger.

— Et rebelotte. Ça va pas recommencer…

Elle soupira comme si la conversation l’épuisait au plus haut point, avant d’allumer la télé comme pour me faire disparaître de son champ de vision.

La traditionnelle émission du Nouvel An était en gros la même tous les ans, à montrer des scènes de liesse en phase avec la saison, comme des couples qui venaient de signer leur contrat de mariage ou des bébés nés le jour de l’an.

— J’aurais voulu m’en débarrasser l’an dernier… mais à ce rythme, c’est mort pour cette année aussi… soupira Komachi.

— De quoi ? Tu parles du ménage de printemps ? lui demandai-je.

— Ouais, je parle de ma raclure de frangin.

— Tu vas galérer à te débarrasser de moi. Les gens n’ont que l’écologie à la bouche de nos jours, plaisantai-je, même si je dois admettre que c’était loin d’être ma meilleure.

— Comment oses-tu… marmonna de façon terrifiante Komachi, comme une certaine jeune défenseuse de l’environnement. [8]

Eh ben, c’est quoi cette façon de parler… Est-ce qu’elle a mal tourné ? Je tremblais comme une feuille morte tout en observant Komachi.

Mais il semblerait qu’elle s’inquiétait maintenant pour autre chose.

— Ah… Mon grand frère est vraiment un déchet. Même si Komachi parvenait par miracle à le marier, il gâcherait tout en un clin d’œil et rentrerait fissa à la maison, ce qui me ferait deux fois plus de boulot…

Le brother complex de Komachi avait atteint des niveaux dangereux, comme si elle pensait au mariage de son frère avant le sien. Ou peut-être que c’était ma fierté de grand frère qui avait vraiment touché le fond pour que ma petite sœur s’inquiète autant pour mon mariage. J’avais l’impression que dans ce cas précis, la meilleure chose à faire pour les fratries douteuses comme la nôtre était de nous marier entre nous – mais légalement parlant, c’était l’option la plus dangereuse de toutes, alors peut-être qu’on va oublier. Saleté de loi !

Alors que je fomentais une révolution dans mon coin, Komachi s’enflamma pour autre chose.

— Mais, du point de vue de Komachi, c’est pas comme si ça manquait de candidates…

— Hé, arrête, tu veux ? Va pas imposer tes choix pour un truc aussi perso sans demander l’avis du type en question.

— Komachi pense vraiment que la candidate la plus sérieuse est… Yukino, je dirais…

Elle est dans son petit monde. Si j’entre dans son jeu, je peux dire adieu à mon Nouvel An pépère. Je me tournai vers la télé pour mettre un terme à la conversation.

Mais c’est alors que je sentis un tapotement dans mes côtes.

— Frérot, tu m’écoutes, oui ? Komachi essaie d’avoir une conversation sérieuse là.

Mon instinct de grand frère prit le dessus et je me mis machinalement en mode écoute.

— Avec Yukino comme femme, tu pourrais accomplir ton rêve de devenir un homme au foyer. Réfléchis bien aux conséquences financières que ça implique.

— Faut pas me donner perdant avant que la partie soit terminée. Tu devrais imaginer un avenir plus radieux pour ton frère.

— Mais il est tout ce qu’il y a de plus radieux. À tel point qu’il aveugle Komachi, comme un Taiyôken [9]. C’est pour ça que je peux me permettre de dire que c’est rien du tout.

Apparemment, j’ai utilisé une coup spécial de Tien Shinhan sans le vouloir. Alors c’est si aveuglant que ça, hein…?

Alors que mes épaules s’avachirent doucement, Komachi leva le poing haut dans les airs.

— Et puis, Komachi sait que Yukino s’occuperait de Komachi aussi. Alors Komachi fera les tâches ménagères à ta place ! Ça fait envie, non ?! À toi la vie de NEET dont t’as toujours rêvé !

— J’ai pas besoin de ça… T’as qu’à te marier avec… Je suis sûr que t’iras loin grâce à ça, alors ton grand frère va rester sagement à la maison… dis-je.

Komachi lança un doux sourire, avant de dire gentiment :

— C’est pas grave, frérot. Tant que t’es là pour Komachi…

C’est quoi ce soudain élan de bienveillance…? Elle me traite vraiment comme un animal de compagnie. J’aime pas ça… Peut-être qu’à partir de demain, je devrais me mettre à manger des croquettes de chat avec Kamakura pour m’y habituer.

J’avais un duel de regards noirs avec Kamakura en préparation de la guerre sans merci qui s’annonçait pour les friandises pour chat quand Komachi prit le chat dans ses bras. Tout en caressant Kamakura qui miaulait sur ses cuisses, elle décida de lancer une bombe.

— Bah, si on va par là, Haruno est plus ou moins au même niveau.

— Ou pas, elle est flippante. Et toi aussi, tu fais flipper à envisager de l’avoir comme sœur.

Je suis un rêveur moi-même, et jamais il me viendrait à l’idée d’imaginer une chose pareille. Komachi est bien trop imprudente avec sa vie… Elle s’est enfilé quatre-ving-dix-neuf champis verts ou quoi ?

Komachi prit une gorgée de café avant de continuer à laisser filer son imagination.

— Et pourquoi pas Saki ? Elle est pas mal non plus.

— Non. Et elle n’a rien à voir avec ta dernière suggestion.

— Mais y’aurait sa petite sœur aussi, non ? Komachi a entendu dire qu’elle était super mimi.

Avec un petit sourire en coin, elle avait joué l’atout le plus puissant du deck de la famille Kawasaki et avait mis fin à son tour. J’ignorais si Komachi avait effectivement croisé Keika, mais entre Kawa-machin et Taishi, elle ne manquait pas de potentielles personnes pour lui en parler. Keika est juste trop chou.

— ………….. Je vais y son– Gné !? Hé, mais attends, y’aurait Taishi aussi du coup. Laisse tomber, c’est mort.

Quand on est un ultime dueliste de mon niveau, on est attentif aux cartes pièges. J’ai failli tomber dans le panneau. J’ai rien à redire sur Kawa-machin en tant que personne – mais en tant que grand frère, je ne peux pas laisser Taishi s’approcher de Komachi.

Mais cette dernière avait sûrement senti l’effet que Keika avait sur moi alors qu’elle croisa les bras avec un hmm et tira une carte de sa pioche.

— Je vois… Alors t’es plutôt compatible avec les filles plus jeunes, hein…? Oh, dans ce cas, pourquoi pas Rumi-chan ?

— Rumi-Rumi, c’est… C’est mon idole. Je peux pas la voir autrement. J’ai plus envie de faire des trucs d’idole avec elle et partager ma passion… Elle me donne envie de la soutenir de la façon la plus pure.

— Hmm, t’es un peu flippant à me prendre aussi au sérieux… Et cette façon intense de parler, ça me fout vraiment les jetons…

Je tenais juste à m’expliquer de la façon la plus sincère qu’il soit, mais maintenant Komachi prenait ses distances avec moi.

Elle avait l’air d’enfin se résigner, alors elle poussa un profond soupir.

— Alors plus jeune, ça va pas non plus… Dans ce cas, si on prend l’opposé… Qu’est-ce que tu dis de Mme Hiratsuka ?

Au moment où elle avait prononcé ses mots, l’atmosphère se transforma en blizzard.

L’échange taquin qu’on avait jusqu’ici avait changé du tout au tout alors que j’étais contraint d’envisager cette responsabilité, ma foi, somme toute réaliste. On ne pouvait pas trop plaisanter avec ce genre de choses ; c’était bien trop pesant.

Komachi devait l’avoir senti aussi. Elle laissa tomber sa tête tristement.

— Pardon. Peut-être que Komachi a poussé le bouchon un peu trop loin cette fois-ci.

— Ouais. On va faire comme si ça n’était jamais arrivé. Je suis persuadé que Mme Hiratsuka finira par trouver chaussure à son pied. Même si j’en sais fichtrement rien.

Avec un regard distant, je priai. Vite…! Ça urge là, que quelqu’un la prenne ! Pas une minute à perdre ! Je risque de la prendre sur un malentendu !

Pendant quelque temps, le son de la télé tenta de couvrir le silence creux du salon aux airs de cimetière. On buva nos cafés, puis soupirèrent de concert.

Après avoir passé un moment à regarder la télé, Komachi se mit soudain à parler de nouveau.

— Bah, tant que t’es heureux, Komachi s’en satisfera. Oh, et çà, ça valait son pesant de points Komachi.

Elle esquissa un sourire, et je baissai la tête encore plus bas en guise de réponse muette.

Notes#