Chapitre 8#

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Elle est née comme ça

— Salut, Taichi.

Au retour du weekend, revoir Nagase était inévitablement un peu gênant.

— … Salut, nagase.

Un inconfortable silence s’installa.

Nagase, comme pour se remonter le moral, se servit de ses deux mains pour tapoter sur ses joues blanches, souples et élastiques.

— « Ne pas changer d’attitude peu importe ce que tu entends ». On s’était pas promis ça d’homme à homme ?!

— Pourquoi tu parles comme ça ?

répliqua Taichi.

— « Ne pas changer d’attitude peu importe ce que tu entends ». On s’était pas promis ça d’homme à homme ?!

— Pourquoi tu répètes deux fois la même chose ? Et puis, t’es pas un homme… En fait, tu voulais juste que je réagisse comme ça, pas vrai ?

Bien que Taichi ignorait si c’était le cas, Nagase éclata de rire.

— N’empêche, pourquoi est-ce que cette conversation semble être extrêmement passionnée si je dis que c’était d’homme à homme ? Si c’était entre femmes ou entre un homme et une femme, on ressentirait pas un tel niveau de passion !

— J’en sais rien… Au fait, ça va ?

demanda soudain Taichi, passant du coq à l’âne.

— … Oh, oui, ça va !

Nagase plissa les yeux et fit le signe de la victoire avec ses doigts.

(Est-ce que je devrais prendre ce sourire pour argent comptant ?)

— Alors, en gros, si t’as besoin de mon aide, dis-moi.

— Ouais, merci. C’est sympa de ta part,

murmura Nagase tout en baissant la tête.

Mais ensuite, elle donna l’impression d’avoir réalisé quelque chose et son regard devint subitement sérieux.

— Mais… c’est pas à moi qu’il faut demander si ça va.

Taichi suivit le regard mélancolique de Nagase et aperçut Himeko Inaba, qui venait juste de pénétrer dans la salle avec les traits tirés.

□■□■□

Bien que c’était le début de la semaine, l’état d’Inaba se n’était pas amélioré, et même pire, s’était détérioré.

Taichi s’inquiétait pour Nagase, mais également pour Inaba. Après tout, elle semblait aller de pire en pire jour après jour. Il était tout à fait compréhensible de s’inquiéter pour elle.

Cela dit, Taichi n’avait absolument rien fait. Les journées s’écoulaient comme d’habitude. Le vendredi, c’était durant le cours d’histoire que ça arriva.

C’était pourtant comme d’habitude, mais au moment où sa vue s’assombrit totalement, il eut soudain une envie extrême de vomir.

— Wuaaah !

Il se couvrit rapidement la bouche avec une de ses mains pour empêcher le contenu de son estomac de sortir.

Il n’avait pas eu le temps de confirmer « qui » il était devenu, mais il se leva immédiatement et se rua hors de la classe.

Il se dirigea en courant vers les toilettes.

Il pouvait voir des bas noirs et une jupe à ses jambes, alors il décida d’entrer dans les toilettes des filles.

Taichi se précipita dans les toilettes les plus proches pour cracher le vomi accumulé dans sa bouche, puis d’autres choses qui continuer à remonter de son estomac. À cause de l’acide gastrique, sa gorge le brûlait, et il ressentait un malaise, si intense qu’il avait l’impression qu’on lui arrachait les tripes. Même sa tête le faisait souffrir.

Il remarqua que quelqu’un était entré en trombe dans les toilettes derrière lui.

— Inaban ! Ça va ?

En entendant Nagase, il comprit qu’il était devenu « Inaba ».

— Quoi, c’est vraiment Taichi qui a pris ma place ? Ah… Sérieux ? T’es pas fichu de supporter ça ? T’as vraiment aucune volonté.

Cette fois-ci, c’était la voix agacée de « Taichi ». (80% de chance que ce soit Inaba. Je peux pas me tromper.)

— Ouais… c’est moi… Mais… je vois pas comment on peut supporter cette douleur juste avec de la volonté…?!

Taichi « Inaba » se rinça la bouche avec l’eau du robinet tout en grognant.

Pendant ce temps, Inaba « Taichi » rassura le professeur qui s’était accouru : « Elle se sent juste un peu mal, elle se sentait déjà pas très bien ce matin. Je vais l’emmener à l’infirmerie. » Le professeur n’insista pas plus et se dépêcha de retourner en classe (sûrement parce qu’il voulait continuer son cours dès que possible).

— Iori, tu devrais retourner en classe. Je m’en occupe.

— Comme je disais… Inaban, tu devrais prendre soin de ton corps… Ça m’a vraiment fait flipper… Taichi, ça va aller ?

demanda Nagase d’un air inquiet.

— .. Oh, ça va bien mieux maintenant que j’ai vomi… Peut-être que je peux retourner en cours maintenant.

— Taichi, oublie pas que t’es dans le corps « d’Inaba » là,

dit-elle en lui faisant la morale.

— … T’as raison, désolé. Après tout, je suis dans le « corps » de quelqu’un d’autre, faut que je fasse gaffe…

se rendit compte Taichi de façon logique.

— Tant que c’est le « corps » de quelqu’un d’autre, hein…

Inaba « Taichi » semblait vouloir ajouter quelque chose.

— Ça m’inquiète de vous laisser gérer ça… Vous vous fichez de vos propres problèmes… Tu devrais aller à l’infirmerie et te reposer. Si t’en peux plus, ne force pas et rentre chez toi. Compris ? Des remarques ?

leur dit Nagase comme pour montrer son exaspération, puis elle retourna dans la classe.

— Qu’est-ce qui lui prend ? On a l’air de tant manquer de confiance que ça ?

Inaba « Taichi » répondit au murmure de Taichi « Inaba » :

— T’as raison. Alors allons au local du club.

— … J’ai l’impression que tu te contredis avec ce que t’as dit tout à l’heure…

Bien entendu, il n’y avait pas matière à débattre – leur destination était le local du club.

Quand ils furent sur le point de l’atteindre, leur échange de personnalité prit fin.

— … On est revenus, marmonna Taichi à voix basse.

— Ouais, répondit Inaba.

— Qu’est-ce qu’on fait maintenant ? On devrait pas aller à l’infirmerie ? Même si on n’est pas à l’abri d’un autre échange…

Inaba craignait que les autres échangent avec elle, alors elle décida d’entrer dans le local plutôt que d’aller à l’infirmerie.

— Dans le local, il y aura peut-être des situations incontrôlables… Non, si c’est juste pour se reposer, le canapé fera l’affaire.

Inaba prit le repose poignet pour s’en servir d’oreiller et s’allongea dans le canapé. Même si quand elle tendait ses jambes, ses jambes dépassaient du canapé, c’était malgré tout assez confortable.

— Haha, je t’ai causé bien des soucis, Taichi. Tu devrais te dépêcher de retourner en classe.

— Oh, t’as raison… Comme si j’allais dire ça ! T’as vraiment pas l’air dans ton assiette – comment est-ce que je pourrais te laisser seule ? Et puis, même si j’avais plus cette envie de vomir, mon corps était toujours lourd et ma tête me faisait un mal de chien.

— T’as dit à Iori que t’allais bien pourtant ! Et arrête de toujours vouloir avoir le dernier mot – c’est soûlant.

— Arrête de dire que je te soûle ! Et fais en sorte d’aller mieux.

Les deux se turent un instant.

— Quand je suis dans cet état, je cause des problèmes inutiles aux autres… pas vrai ? Désolée…

dit Inaba d’une voix fuyante, qui semblait larmoyante, tout en regardant le plafond.

— Non, c’est pas des problèmes inutiles… mais tu te sens pas bien, non ? Avec le timing des échanges, on n’est pas à l’abri que quelqu’un d’autre se retrouve dans mon corps… Enfin, la santé avant tout, ça n’a rien à voir avec l’échange de personnalité.

— Mmm… Ouais,

répondit vaguement Inaba tout en recouvrant ses yeux avec sa main droite.

Il était rare que Taichi soit furieux.

— Dis, Inaba… il faut que tu te reposes. T’es vraiment bizarre ces derniers temps. Tu t’es évanouie l’autre jour, et aujourd’hui, ça. T’as beau dire que tout va bien et qu’on devrait pas s’inquiéter, tout le monde sait que c’est faux – on peut vraiment devenir « toi », non ? C’est vraiment inquiétant de voir que t’allais bien jusqu’ici, et que ton état s’est détérioré depuis le début de ce phénomène. S’il y a une raison, dis-nous pour qu’on puisse t’aider… Si ça n’a rien à voir avec l’échange de personnalité et que c’est juste une maladie, dis-le nous au moins, ok ? Si tu veux pas nous dire, t’es pas obligée de donner le nom de la maladie.

(Peut-être que je suis mal placé pour dire ça, mais je peux pas rester les bras croisés en la voyant dans cet état.)

— … Arrête de gueuler. Ça me donne encore plus mal au crane.

Elle tentait encore d’éluder le problème avec une réponse sans rapport.

— Inaba, je veux t’aider.

Taichi ignorait si sa passion avait atteint Inaba, mais elle se redressa, s’assit – son corps avait beau être dans un sale état, sa posture n’en demeurait pas moins élégante – et le regarda avant de dire :

— Pourquoi tu veux m’aider…? Et je veux pas entendre que c’est parce que tu le veux ou parce qu’on est camarades.

— Oh…

C’était ce qu’il voulait dire à la base, mais après ce qu’elle venait de lui couper l’herbe sous le pied, il devait se mettre à penser rapidement à autre chose.

— … C’est parce que tu penses toujours à nous et que tu veilles sur nous. Même si t’as souvent l’air réticente à le faire, mais dans les moments critiques, tu réponds toujours présente, alors c’est que le juste retour des choses.

(Qu’est-ce que tu dis de ça ?) Taichi baissait les yeux en direction d’Inaba tout en pensant ça.

Hélas, son discours fut balayé du revers de la main par le rire nasal d’Inaba.

— Alors, si je vous avais pas aidé, tu voudrais pas m’aider ? Et si tu pouvais arrêter de dire des choses embarrassantes, espèce d’idiot.

— Non, je t’aiderais quand même… mais ta façon de le dire était un peu trop méchante.

— Pas du tout,

dit platement Inaba, pour ne pas laisser à Taichi l’occasion de pleurer sur son sort.

— … Hein.

Rectification : il ne pouvait que pleurer sur son sort.

— Mais pourquoi vous êtes si gentils ? Je comprendrais jamais… Si vous étiez plus « méchant », ça pourrait changer bien des choses… Non, c’est plutôt moi qui devrais changer, hein ?

Inaba exprima ses émotions comme si de rien n’était. Ses sentiments étaient la chose la plus importante aux yeux de Taichi à ce moment-là.

Puis, il se mit à penser à quelque chose.

(D’ailleurs, Inaba a déjà montré le vide de son cœur à plusieurs reprises, non ?)

Jusqu’ici, elle avait sans cesse mis en garde Taichi, mais… Non, pas que lui, tous les membres du club n’avaient pris cet avertissement que pour eux-mêmes.

Comme il venait d’Inaba, comme elle était ce genre de personne, comme elle excellait en tout, elle n’avait besoin de personne pour s’inquiéter pour elle, et parce qu’elle était toujours là pour pointer les erreurs de Taichi et les autres… Comment quelqu’un qui était capable de tirer les autres vers le haut pouvait avoir une personnalité aussi stéréotypée ?

Taichi commença lentement, la voix tremblante :

— Inaba… Ça va… aller ?

— … De quoi ? Si tu parles de mon corps, j’ai juste besoin d’un peu de repos.

— Pas ça… Je parle de l’état dans lequel on s’est retrouvés à cause de ce phénomène.

(Peut-être que mon visage était sur le point de pleurer tout en restant parfaitement sérieux ?) pensa Taichi.

Pour lui, Inaba détendit soudain son visage.

C’était un sourire extrêmement tendre, gentil, chaleureux, imperturbable, apaisant et gracieux.

Bien qu’elle montrait effectivement ses émotions, l’impression habituelle qu’elle dégageait était comme si elle se cachait derrière un masque. En gros, ses changements d’émotion se faisait sous la surface. Mais, l’Inaba actuelle exposait ses véritables sentiments, qui étaient emplis d’insécurité. Peut-être qu’il y avait encore plein de choses à remarquer chez elle.

Et c’est alors qu’elle dit :

— … Comment ça pourrait aller.

En effet.

Oui, ce qu’Inaba avait dit contenait également un conseil à l’attention de Taichi et les autres.

(Mais peut-être qu’elle voulait montrer son côté fragile ? Est-ce qu’elle essaye de dire que c’est à cause de sa clairevoyance qu’elle s’est retrouvée dans cet état ?)

(Inaba a dit une fois que la situation était sans espoir.)

(Autrement dit, ça veut dire que c’est ce qu’elle ressentait ?)

Mais même après l’avoir écoutée, Taichi n’était toujours parvenu à aucune conclusion. C’était seulement maintenant qu’Inaba était mal en point que Taichi était parvenu à voir à travers l’illusion de son apparente défense impénétrable.

Inaba avait raison. L’idiot qui aimait se sacrifier qu’il était était trop ignorant. Elle s’était retrouvée dans cet état à cause de l’échange de personnalité, mais aussi parce qu’elle n’avait pas reconnu ses camarades de club à leur juste valeur.

Elle était plus intelligente que les autres, mais comme ils en étaient conscient, personne ne lui avait laissé une chance de montrer son côté fragile.

À ce moment-là, le visage d’Inaba montrait de la surprise.

— Attends… ce que j’ai dit compte pas… Laisse tomber.

(Qu’est-ce qui compte pas ?)

— Non… ce… ce que je voulais dire par « comment ça pourrait aller », c’est que cette situation est vraiment problématique, je parlais pas spécifiquement de mon cas.

En voyant Inaba, qui se cherchait des excuses alambiquées pour se défendre, Taichi comprit à quel point il avait été cruel avec elle.

— C’est parce que c’est toi qui as le plus souffert de ce phénomène, pas vrai ?

(Comment est-ce que je pourrais prétendre être son ami alors que j’avais même pas remarqué ça ?)

Les genoux de Taichi se tordirent gauchement et il s’assit faiblement sur le sol.

— On dirait… que la situation empire d’heure en heure… Ah. Quel manque de pot ! C’est vraiment pas mon jour… Il a même fallu que je dévoile mes points faibles à « l’ennemi ».

Inaba se rongeait les ongles nerveusement.

— Tu me considères… comme un « ennemi » ?

— Non, c’est pas ce que je voulais dire, mais…

Inaba s’arrêta et ses yeux bougèrent d’avant en arrière, témoignant d’une grande hésitation.

Bien qu’elle essayait de dire tout ce qu’elle avait sur le cœur, elle ne tenait pas à exposer ses sentiments si ouvertement.

— Vous êtes les personnes les plus importants au monde à mes yeux. Et c’est pour ça que vous êtes également mes pires « ennemis ».

Peut-être que c’était la première fois qu’elle révélait quelque chose qu’elle ne voulait pas que les autres sachent. La porte menant au cœur d’Inaba s’ouvrait peu à peu. Le sens du mot « ennemi » pour elle était…

— Qu’est-ce que…

— Le sujet est clos,

dit explicitement Inaba, refermant la porte menant à son cœur d’un coup.

— T’en as déjà trop dit… Tu devrais pas t’enfuir comme ça, Inaba. Bah, vu que t’as admis qu’on était tes amis et que t’es prête à me raconter tout ça, tu pourrais au moins me laisser partager une partie de ta peine. J’ai pas envie de voir une amie souffrir autant !

— Alors ferme les yeux.

— Je vois pas ce que ça changerait.

(Inaba a vraiment l’intention de continuer à endurer la douleur toute seule ?)

Taichi ne pouvait cautionner une telle décision. Il connaissait déjà la vérité.

(Fermer les yeux, fuir les problèmes ou tenter de les éviter – à quoi bon ?)

(Vu l’existence du problème, on doit nous-mêmes l’accepter tel qu’il est et y faire face. C’est la seule façon d’aller de l’avant.)

(C’est ce qu’on devrait faire.)

Taichi posa ses mains sur ses genoux et se leva.

— Les gens incapables de comprendre la douleur des autres sont indignes d’être qualifié d’ami.

Le visage d’Inaba se déforma comme si elle allait fondre en larmes.

— Mais si je m’explique… alors tout sera fini et…

— Je sais pas ce qui se cache derrière tes mots, mais je suis sûr que ça sera la fin de rien du tout. Arrête de mépriser les autres, Inaba.

À ce moment-là, Taichi avait vraiment l’impression d’avoir affaire à une fille de son âge.

Elle était forte, mais avait à la fois un côté fragile.

— Comment tu peux être si sûr de toi… Vous et moi… on est différents, complètement différents…! Et puis, c’est… inutile.

Inaba, visiblement troublée, se mit à trembler et s’agrippa alors au cuir du canapé si intensément qu’il était sur le point d’être arraché. Si elle venait à forcer encore plus, ses doigts tendres et blancs risquaient de voler en éclat.

(Est-ce qu’on peut vraiment se contenter de ça ?)

se demanda Taichi.

(Peut-être bien… Mais, il faut qu’on aille de l’avant. Si on trouve pas la raison derrière les agissements d’Inaba, on pourra jamais trouver de solution. Même si ça signifie être blessé, je suis prêt à être le premier sur la ligne de départ.)

Puis, avec un regard littéralement sans peur, il dit :

— Inaba, il n’y aura absolument aucun problème. Laisse-moi te sauver.

Pouvait-on être considéré comme le dernier des imbéciles parce qu’on disait des choses infaisables ? Mais après cet aveu, Taichi savait qu’il était un peu plus proche de la vérité.

Inaba regarda Taichi, avant de serrer ostentaroiement le poing et de taper sur le mur, comme pour essayer de se faire mal.

— Comment tu peux dire qu’il y aura aucun problème alors que tu sais pas de quoi il en retourne ? Je comprends pas du tout… Bon, ok, je vais t’expliquer.

Les yeux d’Inaba étaient forts et perçants – à tel point qu’on pouvait sentir la haine en elle.

(Il n’y aura aucun problème, j’en suis convaincu.)

— J-Jamais je pourrais vous faire confiance,

dit-elle, de façon inattendue.

— L’échange de personnalité… autrement dit, cela veut dire que le « corps » et donc son image sont récupérés par quelqu’un d’autres. Tu comprends ce que ça implique ?

Les paroles agressives d’Inaba fit reculer Taichi.

— Pendant un échange, que ce soit un crime ou autre, toute la responsabilité de tout ce qui a été accompli est portée par le propriétaire du corps en question. Tu peux faire ce que tu veux et mettre toute la responsabilité sur le dos d’un autre. Tu peux tuer, voler ou violer sans avoir à en assumer les conséquences.

— Mais… si quelqu’un fait ça, ça va causer de gros problèmes au propriétaire du corps.

— Qui en a quelque chose à foutre des autres ?

l’interrompt de façon glaciale Inaba.

— … Peut-être que je suis allée un peu loin sur certains crimes, mais si on échange de corps alors qu’on se trouve chez nous, on pourrait très bien se mettre à fouiller la maison et récupérer des secrets ou voler de l’argent, non ?

— Oui… ça pourrait arriver…

— Je peux pas m’empêcher de vous imaginer en train de le faire. Qu’est-ce qu’on fait à mon corps quand il est possédé ? Ça me travaille tellement que j’arrive plus à fermer l’œil de la nuit.

Les cernes sous ses yeux semblaient plus profonds et visibles qu’avant.

— Et le pire dans tout ça, c’est que je me déteste à cause de toutes ces pensées. J’ai l’impression que je ferais mieux de mourir… Je sais que vous êtes mes amis et que vous feriez jamais ça, mais… vraiment. Peut-être que ça peut paraître bizarre, mais j’espère que tu me comprends… Hélas, penser et croire sont deux choses différentes. Même si je pense pouvoir comprendre, je peux pas m’empêcher de croire que ça pourrait arriver. Alors à chaque fois que je retourne dans mon corps après un échange, je vérifie qu’il ne s’est rien passé de tout ça. J’ai peur… de te montrer cette facette immonde de moi.

Le monologue d’Inaba continua comme si elle ne pouvait plus s’arrêter.

— Je pensais que les humains avaient tous plus ou moins cette facette. Que même si leur expression disait aux autres qu’ils leur faisaient confiance, mais qu’en réalité, il y avait une part de scepticisme en eux. Mais, après le début des échanges de personnalités, j’ai compris que vous aviez vraiment confiance aux autres, moi compris. Vous avez pas l’air d’avoir peur du tout… Alors que moi…

Ce n’était pas qu’elle refusait de croire, mais plutôt qu’elle n’y arrivait pas. Elle voulait qu’on lui fasse confiance autant qu’elle le fasse en retour, mais elle n’y arrivait tout simplement pas. Bien entendu, Taichi ne pouvait qu’imaginer ce qu’elle pensait, mais rien que ça faisait déjà bien assez mal. Cela devait vraiment être une torture pour elle.

— Mais, Inaba… malgré tout, on te détestera jamais.

(Exactement. Même si elle pense comme ça, ça change pas le fait qu’elle est Inaba…)

— Même si vous n’allez pas me détester du jour au lendemain, rien ne sera plus jamais comme avant, non ?

— Eh bien…

— Du moins, pour moi. Je suis pas assez folle pour dire à ceux qui croient en moi, « je ne vous fais pas confiance » et me comporter comme si de rien n’était.

Peu importe ce que Taichi et les autres pensaient, si Inaba disait que c’était ce qu’elle croyait, alors il n’y avait aucun moyen de la sauver.

Inaba se mit à prendre de profondes inspirations, avant de poser sa main sur sa poitrine, comme si elle avait besoin de se préparer.

— Je ne fais confiance à absolument personne, pas même à ma famille. Alors tout le monde est mon « ennemi ». Et vous êtes mes pires « ennemis », parce que peut-être… que sans mon tempérament, vous me feriez confiance plus que n’importe qui d’autre… Si je me méfie de tout le monde, alors peut-être que tout ira mieux. Et malgré ma méfiance, ça ne veut pas dire que je les déteste non plus. Je pense que si je peux me comporter comme tout le monde et bien m’entendre avec les autres, alors tout ira bien… Mais du fait de mon indécision, je souffre toujours chaque jour qui passe.

— Ah… Ah ! finit par dire Taichi, ce qui fit éclater de rire Inaba.

— Alors…

Taichi était sans voix. Comme si elle s’en était rendue compte, elle courba délibéremment le coin de sa bouche vers le haut. C’était un sourire qui fut immédiatement empli d’un sentiment de mélancolie.

— En plus de ça, t’auras beau chercher, tu trouveras jamais le moyen de me sauver… Parce que j’ai toujours été comme ça.

S’engouffrant dans une drôle de direction, Inaba continua à parler effrontément.

— J’ai pas de traumatisme comme Yui ou Iori… Il arrive souvent que les personnages d’une histoire soient pessimistes à cause de terribles expériences par le passé, pas vrai ? Quand on voit ça, on a tendance à compatir avec eux. Mais de mon point de vue, ils devraient s’estimer heureux parce qu’au moins, ils ont une bonne raison d’être comme ça. Si c’est à cause de leur traumatisme, ils peuvent encore être sauvés, parce qu’on peut encore trouver un moyen de les guérir – c’est aussi simple que ça. Par contre, comment est-ce qu’on fait quand il n’y a justement pas de traumatisme ? La raison étant qu’ils sont nés comme ça. Du coup, on ne peut rien pour eux. Après tout, ils sont nés avec leurs problèmes. Le seul moyen de corriger ça, c’est de les transformer en quelqu’un qu’ils ne sont pas… Tu pense pas que ça serait pire que tout ?

> Je ne crois pas être l’héroïne d’une tragédie, dit Inaba tout en balançant sa main devant son visage.

> Ce que je vais dire se base énormément sur mon avis personnel. Je pense qu’en réalité, la plupart des gens n’ont pas de traumatisme précis et dramatiques qui serait digne d’en faire un roman. Bien entendu, je dirais pas qu’il n’y a pas d’influence externe sur moi, mais la majorité des gens n’ont pas eu tant d’expériences horribles que ça, c’est juste qu’ils sont nés comme ça. Si ça avait été une histoire, l’auteur aurait fait en sorte de préparer un moyen d’y remédier, de montrer les raisons derrière les obstacles et mélanger tout ça pour faire une belle histoire. Mais en fait, je pense que la plupart des traumatismes du monde réel n’ont pas de remède, et sont des « histoires qui n’ont pas pu en devenir ». Il existe peu de cas de guérison dans ce monde… Dans un certain sens, peut-être que ton sens du sacrifice est également incurable. T’as toujours été comme ça ?

Selon sa théorie, les choses deviennent ce qu’elle a dit. Les choses comme les sauvetages ou les guérisons étaient rares.

Et puis, Taichi était également…

— Tu as raison… Il n’y a aucun remède pour ceux qui n’ont pas de traumatismes.

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Taichi ne pensait pas que ce qu’avait dit Inaba était foncièrement faux, mais – cela ne voulait pas non plus dire que c’était vrai.

Non, on devrait plutôt dire qu’il ne voulait pas croire que c’était vrai, parce que si c’était le cas, ce monde allait devenir trop superficiel.

Puis, Taichi se souvint soudain de quelque chose.

(Si je dis ça, elle se mettra peut-être en rogne.) Même s’il avait ses propres doutes, Taichi décida malgré tout de continuer parce qu’il savait que peu importe l’issue, il se devait d’aller de l’avant.

Après tout, Taichi avait demandé à Inaba de parler en toute franchise de tout ce qu’elle tentait désespéremment de cacher – même après s’être évanouie. Par conséquent, il devait assumer ses responsabilités.

— C’est parce qu’en fait, il n’y a pas besoin d’être sauvé, non ?

(Est-ce que je suis trop optimiste ?)

— Ah ?

Inaba plissa les yeux et regarda Taichi avec un air surpris.

— Comme je l’ai dit, je pense que si on est né avec ce genre de personnalité, c’est pas vraiment un problème, si ?

En effet, parce que c’était une personnalité que Dieu avait décidé de conférer aux humains depuis leur naissance.

À ce moment-là, Inaba ne parvint pas à comprendre ce qu’il sous-entendait, mais comme Taichi s’y attendait, ce qu’il avait dit sembla immédiatement la mettre en colère.

Colère – son corps tout entier semblait empli de cette rage noire à cet instant précis.

— Oh… Donc comme ça, tu dis que c’est pas la peine de se faire du mourron pour ces futilités, c’est ça ? Et qu’en plus, les gens qui iraient jusqu’à tomber dans les vapes à cause de ça ne sont que des idiots.

Taichi sentit un miasme d’une puissance qu’il n’avait jamais rencontrée de toute sa vie.

— J-J’ai pas dit un truc « aussi » méchant, si ?

Il avait envie de céder.

Mais il devait y faire face.

Ce monde n’était pas assez naïf pour qu’on puisse gagner sans risque de se blesser.

— Mais, peut-être qu’au final, y’a de ça, oui.

— Taichi !

Inaba se leva, fit un grand pas en avant et saisit Taichi par le col.

Encerclés par de longs cils sensuels, ses petits mais longs yeux brûlaient d’émotion. Bien que ses lèvres étaient pâles, ses joues étaient toutes rouges. L’expression de son visage, ne dissimulant aucune de ses émotions, accompagné de son intrinsèque beauté, dégageait une incroyable énergie malgré l’état dans lequel elle se trouvait.

Jusqu’à maintenant, Taichi avait unilatéralement pensé que la facette cachée d’Inaba était aussi forte que la façade, mais en réalité, c’était bien différent. Il savait que même si c’était Inaba, elle avait un côté fragile.

Son cou était serré si fortement qu’il avait du mal à respirer, mais il n’y prêta aucune attention et se remit à parler.

— Ou plutôt… qu’est-ce que… ça peut faire que tu sois comme ça ?

Inaba parut abasourdie.

— Non… C’est déprimant que tu veuilles pas nous faire confiance, mais je pense que t’es pas obligée de te changer juste pour cette raison… Je pense que tout le monde devrait s’accepter tel qu’il est… Même si ça veut dire que nos relations s’en retrouvent changées.

Le cou de Taichi fut tiré encore plus fermement.

— Ce genre de personne… si ça avait été moi, je l’aurais pas accepté…!

Inaba arborait un regard tordu de douleur comme si elle s’enfonçait dans le désespoir.

Alors Taichi lui dit sans détour :

— Je l’accepte.

Ses mains se détendirent.

— Que… Qu’est-ce que tu racontes…

— Comme je l’ai dit, je t’ai déjà accepté telle que tu es ? Alors… Nagase, Kiriyama et Aoki aussi. Tout le monde t’acceptera, il faut juste essayer, ok ? Comme ça, tu arrêteras de souffrir. Et puis, si tu peux changer d’attitude avec une telle détermination, t’aurai également aucun mal à trouver un moyen de te défendre, non ? Comme ça, tout sera réglé.

— T-T’es débile ou quoi ? Comme si c’était si facile que ça !

cria Inaba plus surprise qu’énervée.

— Mais peut-être bien que si.

— Que… mais c’est trop risqué… comment est-ce que je pourrais ?! Et si jamais ils me rejetaient, qu’est-ce que je deviendrais ?

En vérité, la bonne réponse serait « il te faudra vivre avec ».

Et pourtant, Inaba avait directement demandé son avis et son aide malgré son habituelle assurance. Taichi croyait qu’il devait trouver un moyen de la sauver. Mais il n’avait rien pu trouver de transcendant.

— Il te restera moi, ça te suffit pas ?

— Quoi…!

Inaba resta sans voix, et dans le même temps, elle fit deux pas en arrière.

— Tu… tu dis vraiment ces trucs sans réfléchir…? C’est ton instinct…?!

Inaba écarquilla les yeux comme si elle avait vu un extraterrestre.

Mais Taichi se disait qu’il n’était pas nécessaire d’être aussi choquée.

— En gros, il faut d’abord que tu commences par t’accepter telle que tu es. Et personne ne pourra t’aider pour ça.

(On a beau vouloir changer, le premier pas, c’est de s’accepter soi-même.)

— … J’en reviens pas que Taichi me donne des leçons.

Inaba refit quelques pas en arrière, et quand ses jambes rencontrèrent le canapé, elle s’assit en s’effondrant dessus. Elle s’allongea dans la foulée et cacha son visage dans ses bras.

C’était la première fois que Taichi la voyait vraiment sans défense à tous les niveaux.

Taichi se dit qu’il devrait la laisser se reposer, et s’assit sur une chaise.

Il sentait qu’ils allaient devoir manquer le prochain cours également.

Il y avait plusieurs centaines d’élèves qui allaient dans ce lycée. Et dans cette pièce, se trouvaient seulement deux personnes, alors c’était extrêmement relaxant. Bien que Taichi n’en connaissait pas la raison et ne saurait l’exprimer avec des mots, il aurait aimé qu’Inaba partage le même sentiment que lui.

À ce moment-là, Inaba bondit subitement du canapé.

— Oui… mais non, ça marchera pas !

— Pourquoi ?

— Je l’ai déjà dit… je peux pas dévoiler ma pire facette aux autres. Quoi que je fasse, je ne vois qu’un échec au bout.

Inaba recouvrit son visage et baissa la tête. Son habituelle arrogance et confiance avaient disparu.

— Mais, ça me dérange pas, moi…

— Projeter ce que tu penses sur les autres est bien trop difficile.

(… C’est moi ou elle me traite de taré là ?)

(Bon, que faire maintenant…) À ce moment-là, Taichi eut une autre idée.

— … Dis, Inaba, je pense que si quelqu’un pense que découvrir son secret est la fin de tout, peut-être qu’ils ont tendance à en faire toute une montagne.

— Tu parles d’un réconfort…

— Alors j’ai décidé de te raconter un secret que je voulais à la base emporter avec moi dans ma tombe.

— Hein ?

Inaba était visiblement abasourdie pour la nième fois aujourd’hui.

— S’il venait à s’ébruiter, ce secret pourrait profondément perturber ma vie lycéenne. En fait, cela reviendrait à me condamner à mort socialement ou à perdre mon statut d’être humain. C’est un secret tellement dangereux que j’en tremble rien que d’y penser…

(J’ai dit ça sans détour, mais j’ai pas pu empêcher ma voix de trembler.)

(Est-ce que j’ai bien fait de suivre ce chemin ? Si j’échoue, cela se terminera mal, et ça sera pas drôle à voir.) Même s’il était trop tard pour faire marche arrière, Taichi se mit à se sentir faillir.

— … Au fait, à quoi bon me révéler ton secret… t’as l’intention de me dire « je t’ai dit mon secret, à ton tour…? »

— Exactement.

Inaba se leva, le visage en colère, avant de foncer vers Taichi.

— Aïeuh !

Elle avait poussé farouchement la table !

— Ouah !

La longue table heurta Taichi à l’abdomen ! (Qu’est-ce qui te prend ?)

— Mais qu’est-ce que t’as dans la tête ?!

Ce cri aurait pu paralyser n’importe qui en un instant.

— … Tu cries trop fort, Inaba. Et même s’il y a une certaine distance entre ce bâtiment et le principal, y’a des élèves en cours là…

Inaba tapa sur la table avec son poing.

— Ah ! Comment dire, y’a tellement de choses qui me foutent en rogne, alors j’ai accumulé pas mal de stress là. C’est juste que c’était la goutte d’eau.

Ses yeux sadiques brillaient de mille feux.

— Alors vas-y, raconte-moi ton secret…!

Un sourire amer se dessina sur son visage. C’était donc son véritable visage… Peut-être était-il préférable qu’elle ne soit pas fidèle à elle-même ? Taichi voulait vraiment croire que son instinct se trompait.

— Bon… tu dois me promettre que tu seras également honnête avec les autres…

— Accouche, et ensuite je déciderai. Et puis, je t’ai déjà dévoilé une partie de mes secrets.

Taichi déglutit nerveusement. Franchement, révéler son secret était bien trop dangereux.

Parce que c’était un sujet tabou à ne jamais aborder avec les filles.

Taichi voulait s’enfuir à grandes enjambées… Mais, il parvint à se convaincre de faire le premier pas.

(Commençons par résoudre le problème qui se présente. Je me fiche de ce qui peut se passer après.)

— Alors… je suis prêt à le dire maintenant…

(C’est la première fois que je suis aussi nerveux de toute ma vie. Mon corps tout entier est engourdi. J’ai l’impression que je vais recracher tout le contenu de mon estomac.)

Taichi ignorait si Inaba était choquée par son inhabituelle apparence, mais il vit un visage crispé, prêt au combat.

Taichi se prépara mentalement.

— Un jour… je… je me suis masturbé en pensant à toi.

Le temps s’arrêta.

L’air de la pièce s’était figé comme si la température avait atteint le zéro absolu.

Le corps de Taichi ne pouvait pas bouger d’un pouce. S’il le faisait, l’air allait fondre et se répandre. Il voulait qu’Inaba ne réagisse pas tout de suite.

Mais le temps ne pouvait pas s’arrêter indéfininément.

— … Comment ça… De quoi tu parles exactement ?

demanda Inaba.

— … Bah, la masturbation quoi… Pas besoin de te faire une dessin, si ?

— Oh ah bon ? Je vois… alors tu t’es servi de moi comme… alors ça veut dire que Iori et Yui aussi…?

… Même si ses tripes le brûlaient comme si on les lui arrachait, Taichi n’avait pas d’autres choix que d’acquiescer pour l’admettre.

— Sérieux ? Alors Taichi se sert des filles de son âge comme ça, hein…

Avec un ton calme et l’esprit méthodique, Inaba était l’être vivant le plus effrayant qui n’ait jamais existé sur cette planète.

— … Tu m’as bien eue… Ha ! Hihihi, gahahahaha !

Inaba se tint l’estomac et éclata de rire. Elle riait tellement fort qu’elle avait du mal à respirer, tout en étant assise de travers sur le canapé et en tapant du poing dessus.

— Ah… Hé… Je le fais rarement ! Et je l’ai quasi jamais fait… Tu m’écoutes ?

Bien que Taichi ne s’était pas regardé dans le miroir, il savait qu’il était rouge comme une tomate.

— Ah~hahaha… Ah… J’en ris tellement que j’ai mal aux côtes… Hihihi.

Inaba finit par arrêter de rire. Elle essuya ses larmes et haleta comme si elle sortait d’un marathon.

Elle s’essuya à plusieurs reprises les larmes et respira profondément. Malgré ça, elle ne semblait pas avoir suffisamment ri et avait des rechutes quand elle y repensait. Mais au final, elle se calma tant bien que mal.

Puis, elle s’écria d’un ton rempli de dégoût, de désapprobation et de mépris :

— Per~~~~~~~vers !

Ce mot avait l’effet d’une grande coupure incisive faite à la hache.

— Sale pervers, cochon, taré, psychopathe, merde, vermisseau, animal, fumier !

Chacune de ces attaques verbales transperçait littéralement le cœur de Taichi.

— … Argaaah…

Il ne pouvait même plus s’exprimer comme un être humain.

(Je suis fichu. Cette méthode était vraiment…)

— Mais…

À ce moment-là, le regard froid d’Inaba se détendit comme si elle était satisfaite.

— … Qu’est-ce que ça peut faire ?

dit-elle en souriant.

> Non, je devrais plutôt dire que… vu que t’es en pleine puberté, c’est tout à fait normal. Au fait, t’as un sacré cran pour révéler un truc pareil… Si tu t’y prends mal, ça peut être direction prison… Avec moi, c’est pas grave. Alors évite de dire ça aux autres filles, pigé l’idiot ?

— Comme je l’ai dit… ce secret que je cachais jusqu’ici est maintenant mon plus grand danger ! Et je peux le dire qu’à toi.

— Qu’à moi, hein ? C’est censé me faire plaisir ? Au fait, c’est tellement débile ! Dévoilé ce secret était débile. Penser que le dire à quelqu’un et que tout ira bien est débile. L’entendre et se dire que c’est pas grave est également débile… et la chose la plus débile, c’est que ça m’a touchée…

Inaba leva les yeux au ciel, en essuyant ses larmes comme pour dire « je ne dois pas pleurer ». Malgré ça, elle s’y était prise un peu tard, alors elle ne pouvait que frotter en continu ses yeux avec le col de sa chemise.

— C-C’est pas ce que tu crois ! C’est juste parce que j’étais morte de rire à l’instant !

(T’es une gamine ou quoi ?) pensa Taichi. Mais il réalisa qu’elle était, en fait, une enfant… C’était toujours une enfant.

(Alors il y a tant de fois où on souffre le martyr. On peut pas toujours parler de nous-mêmes. Des fois, il faut que quelqu’un vienne à notre rescousse. Mais, ça ne changera sûrement jamais, même quand on sera devenus adultes.)

— Bah, je pourrais dire qu’en tant que fille, tu pourrais utiliser un mouchoir.

Taichi se mit à côté d’elle et lui en tendit un.

— …. À quoi tu joues… Tu fais que des trucs débiles… T’as l’intention de me faire aussi craquer pour toi, c’est ça…?

Ils voulaient le faire dès que possible alors ils appelèrent rapidementles autres membres du CRC.

Ils avaient décidé d’organiser une réunion dans le local pendant la pause déjeuner.

En attendant, Inaba, dont le visage était rouge comme une tomate, dit à Taichi, « Oublie que j’ai pleuré et toutes les bêtises que j’ai pu dire ! Si tu tiens à la vie, bien entendu~ ! » Elle incitait fortement Taichi à tout oublier.

Après ça, la sonnerie de l’école indiqua la fin du quatrième cours, ce qui marquait également le début de la pause déjeuner…

— … Voilà toute l’histoire.

Inaba avait raconté tous les secrets qu’elle cachait et ses angoisses à Nagase, Kiriyama et Aoki. Bien qu’elle s’était enfuie jusqu’ici, elle restait toujours Inaba. Quand elle était déterminée, elle était capable de tout sans détour.

Malgré tout, elle n’arrivait pas à se débarrasser de sa gêne et de sa peur. Ses jambes tremblaient légèrement pendant qu’elle parlait.

(Je sais que ça va aller. Je l’ai dit après tout. Même si Inaba est ce genre de personne, ces trois-là l’accepteront) croyait dur comme fer Taichi, tout en observant minutieusement leur réaction comme s’il priait. (Si tout se passe pas comme prévu, et dans le pire des cas, comment est-ce que je vais pouvoir me faire pardonner ? Non, avant ça, qu’est-ce que va devenir le Club de Recherche Culturelle ?)

(Mais, si c’est eux, je suis sûr que…)

Les trois restaient silencieux (parce qu’Inaba leur avait demandé). La première personne à se manifester fut Nagase.

— Inaban, en gros, tu veux dire que…

Elle se tut.

Inaba tremblait nerveusement.

(Comment Iori va réagir après avoir entendu toute mon histoire ?)

— … t’aimes t’inquiéter, c’est ça ?

Ce fut… impensablement inattendu.

— J-J’aime m’inquiéter…? Iori, t’as écouté ce que j’ai dit… c’est pas un problème que tu peux résoudre comme ça…

murmura Inaba, abasourdie.

Puis, ce fut au tour de Kiriyama de parler.

— Je peux comprendre. Je suis pareille. Après être retournée dans mon corps suite à un échange avec Aoki, la première chose que je fais, c’est vérifier chaque centimètre carré de mon corps et ensuite, je vérifie que j’ai rien perdu dans mes affaires.

— Je suis meurtri ! Ce que tu viens de dire m’a littéralement crucifié ! Pourquoi que quand c’est moi ? Et Taichi alors ?

Kiriyama répondit, « Chut ! Je me base sur le comportement de chacun », et écrasa Aoki avec une puissante voix.

— Ce… C’est tout ce que vous avez à dire…?

— Hmm… ta façon de pensée était un peu surprenante – genre les crimes et tout. Mais t’en fais pas, j’ai une conscience, une éthique et des valeurs, alors je ferais jamais ça. Je suis le genre de personne à jamais traverser au rouge !

Kiriyama bomba le torse de fierté, tout en faisant une pose en adéquation avec.

Bien qu’il y avait des désaccords entre eux, après avoir discuté, ils savaient que Kiriyama avait un problème similaire. Elle n’avait également pas renié la façon de penser d’Inaba et l’avait naturellement accepté.

— Et puis, Inaba fait confiance à personne, c’est pas que moi ! dit Aoki.

Inaba marmonna comme si elle était tombée dans le désespoir : – Est-ce que c’est vraiment important ça…?

— C’est le plus important. Le reste, on s’en fiche !

Aoki était même certain que ce n’était vraiment pas important.

Telles furent les diverses réactions des membres du Club de Recherche Culturelle.

— Alors, ce que j’ai envie de te dire Inaba, c’est que – le plus important…

Nagase utilisait un ton anormalement formelle avant, pour attirer l’attention de tout le monde, de dire :

— … de se dépêcher de retourner en classe chercher son déjeuner.

Elle avait soulevé une boîte à carreaus rouges et blanc et l’agitait devant son visage, avant d’arborer l’expression la plus sérieuse de la journée. Elle, Iori.

— Oui, c’est vrai.

— Ouais.

Kiriyama et Aoki acquiesçaient de concert.

— Ok, c’est décidé alors. Bon, allez-y ! Taichi, toi aussi ! Je commence à crever la dalle !

Nagase donna une pousse dans le dos d’Inaba et Taichi et les força à sortir du local. Dans le même temps, Nagase avait murmuré quelque chose à l’oreille d’Inaba que Taichi ne put entendre.

Peut-être était-ce parce qu’elle n’était pas en pleine possession de ses moyens, mais Inaba sembla perdue pendant qu’elle était poussée hors du local. Puis, elle se remit à parler sur le chemin.

— Comparé au déj, mes inquiétudes, alors qu’elles m’ont presque anéantie, sont moins importantes, c’est ça ? C’est vraiment abusé, non ?!

Elle avait raison.

Néanmoins, vu leur différence de point de vue, peut-être que ses inquiétudes n’étaient pas fondées. Après tout, quelque chose comme « la vraie personnalité de quelqu’un » ne méritait pas autant d’attention.

— Ah, je me sens stupide… Tous ces problèmes qui me torturaient l’esprit et toutes ces choses embarrassantes auxquelles j’ai pensé…

Si c’était comme elle le pensait, les problèmes qui la hantaient devaient maintenant lui paraître futiles.

(Tout ira bien…) pensa Taichi.

— … Enfin, passons. Après tout, j’ai pu obtenir un secret qui me permettra de te mener par le bout du nez.

… Alors qu’Inaba avait réussi à passer à autre chose, Taichi en était incapable.

— Dis… Inaba, si possible, j’espère que tu pourras graver ça dans un coin de ta tête… Non, tu ferais mieux de tout effacer de ta mémoire…

— Non.

(… On dirait mes journées restantes en tant que lycéen ne pourront se passer correctement qu’en lui obéissant.)

Ah… Taichi soupira comme s’il était sur le point de s’effondrer. Inaba explosa de rire tout en lui donnant une tape dans le dos.

Après ça, elle s’arrêta et posa légèrement sa main sur l’épaule de Taichi.

— J’oublierai jamais, mais par contre, je vais te raconter un petit secret. Comme ça, on sera quittes.

Inaba s’approcha de Taichi et se pencha vers son oreille.

Un doux parfum de miel émanait de son corps.

— Moi aussi, je me suis déjà masturbée en pensant à toi,

dit-elle tout en exhalant un doux et tiède souffle.

— Qu’est-ce… que…

Du fait de la honte, l’inquiétude et la peur, Taichi fut pris de panique.

(Autrement dit, ça veut dire que… cette chose… deviendra ça… deviendra ça… c’est ce qui s’est passé…)

Comme si elle s’amusait de son malaise, Inaba continua à glousser.