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Même les affaires de l’Enfer se règlent avec de l’argent ?

Grâce aux diverses fonctionnalités d’un smartphone moderne, j’avais fait sortir une magnifique fille fantôme issue d’un film d’horreur 3D à la lumière du jour (pour que son existence soit un peu plus visible, on pourrait gagner beaucoup de points en enlevant tout un tas de choses diverses et variées en un temps limité). C’est alors qu’une lycéenne non loin m’interpella.

Cependant, l’angle de sa voix était un poil étrange.

Pour être précis, elle provenait de diagonalement vers le haut.

— Hé.

— Une seconde, je crois que je viens juste de trouver le truc pour passer au niveau 4. Je sais ! Si on vire le type sur le côté dans la photo de groupe, on peut voir les cuisses de la fille fantôme en yukata !!

— Hého !! cria quelqu’un qui flottait en l’air.

Hmm. J’étais parti du principe qu’elle allait paniquer un peu plus que ça, alors j’avais téléchargé une appli pour tuer le temps, mais elle avait repris ses esprits à une vitesse phénoménale.

J’étais moi-même impressionné par le fait qu’elle avait accepté cette explication aussi rapidement.

— J’ai compris que j’étais un fantôme.

Elle s’assit en tailleur tout en flottant la tête vers le bas. Comme elle était trop haut, je ne pouvais pas du tout voir sa culotte. En y repensant, les uniformes scolaires semblaient éternels, alors que les survêtements de sport et les maillots de bain étaient revus assez souvent.

— Mais où suis-je ? Au paradis ? En enfer ? On se croirait dans un temple bouddhiste.

C’était peut-être parce que j’étais vêtu comme un moine bouddhiste.

Cependant, ceci n’était pas un temple.

— C’est un hall funéraire. Ou plus précisément, c’en était un. C’est une institution typique qui s’occupe des morts ordinaires dans une ville banale. Un endroit qui remplit cette condition était nécessaire.

— Dans quel but ?

— Pour en faire un enfer privé.

J’avais donné une réponse simple.

Malheureusement, elle était peut-être un peu trop simple. Les sourcils de la fille se froncèrent vers le haut tandis qu’elle continua à flotter la tête vers le bas.

— En gros, il y a tellement de gens mauvais ces jours-ci que l’enfer est rempli à craquer. Avant que le système ne s’effondre, il a fallu diviser le travail pour alléger la charge. Et cela passa par la création d’enfers privés à partir de morceaux du monde humain. … Vois ça comme une prison qui serait sous-traitée par le secteur privé comme c’est le cas dans certains pays.

La fille réagit nerveusement au son des mots « enfer » et « prison ».

Bien. Voilà ce que j’attendais.

— Alors vous sous-entendez que mon âme était censée aller en enfer ?! Je n’ai jamais rien fait de mal !!

— Le bouddhisme n’est pas une religion qui tolère le suicide. Le concept de seppuku induit souvent les gens en erreur. Qui plus est, tu es mineure. Connais-tu le Sai no Kawara ? C’est l’endroit où les enfants qui meurent tôt et qui ont fait pleurer leur parent sont battus par un démon.

— … Qu’est-ce que je suis censée faire ici ?

— Je t’expliquerai la punition qui t’attend plus tard, mais pour l’instant, contente-toi de posséder un yorishiro. Les enfers privés ont beau avoir été coupés du monde humain, ils en font toujours partie intégrante. Il ne serait pas bon pour une âme nue de rester ici trop longtemps.

— Un yorishiro ? Et en langage du 21e siècle, ça donne quoi ?

— Une poupée japonaise a été préparée en se basant sur les informations de ton corps quand tu étais encore en vie. Contente-toi de t’y glisser.

La fille cria comme si tous les poils de son corps s’étaient hérissés.

— Non !! Une poupée japonaise combinée à une jolie fantôme, ça semble tout droit sorti d’un film d’horreur ! Quelque chose me dit que mes cheveux vont pousser vraiment très longs !!

— Ne va pas te qualifier effrontément de jolie. Mais si tu refuses d’utiliser la poupée, il ne reste plus que le dakimakura dans l’armoire…

— Saaaaaaaale moine de mes deux !! Aaaaahhhhhhhhhhhhh !!

Toujours en criant, la fille plongea dans la poupée japonaise. Puis, elle sembla réussir à s’y attacher. La poupée ne bougea pas d’elle-même. Plutôt, le corps physique de la fille se régénéra sur la poupée. Cette dernière était telle le cœur de son corps physique. Grosso modo, elle était devenue un fantôme que l’on pouvait toucher.

Une fois le processus terminé, elle ressemblait à s’y méprendre à une fille de taille normale vêtue d’un uniforme scolaire.

C’est pour cette raison que cela importait peu qu’elle choisisse la poupée japonaise ou le dakimakura.

— Bon !! J’y suis !! Qu’est-ce que je suis censée faire dans cet enfer privé ?

— Tu n’as qu’à voir ça comme un séjour dans une famille d’accueil qui repose sur un système de points. Ce n’est pas parce que ça s’appelle l’enfer que ça va finir en bain de sang.

Visiblement intriguée, la fille demanda : – C’est quoi ces points ?

— Ta punition arrivera par mail tous les jours. Il existe différents types de cartes. Avec une certaine combinaison d’entre elles, tu peux atteindre ton quota de points pour la journée. Après avoir travaillé le temps pour lequel tu as été condamné à rester ici, tu obtiendras le droit d’être réincarnée. Ainsi, tu renaîtras dans le corps d’un bébé dans le monde humain.

— Je ne peux pas aller au paradis ?

— Y aller en venant tout droit de l’enfer relève d’un miracle bouddhaesque. Ne t’attends pas à pareille chose avec le banal moine que je suis. Si tu veux aller au paradis, vis ta vie comme il faut dans ta prochaine vie.

— Hmm. Eh bien, il y a encore plein de choses que je voulais essayer, alors ça me va d’être réincarnée. Quoi qu’il en soit, qu’est-ce que je vais devoir faire pour atteindre le quota quotidien ?

Je pointai du doigt l’écran d’un ordinateur portable et la fille se figea sur place après y avoir jeté un œil.

100 fessées.

30 points (sur un objectif de 5000 par jour).

— C’est. Quoi. Ce. Biiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiinzzzzz ?!

— Ha ha ha. Tu avais oublié que c’est l’enfer ici ? Enfin, un enfer privé. Et c’est moi qui joue le rôle du méchant démon qui te tourmente. On peut dire que je suis invincible quand il est question d’esprits. Si tu tentes de t’en prendre physiquement à ma personne, tu te heurteras à un mur invisible qui te feras tournoyer de façon à ce que je puisse voir ta culotte.

La fille s’aggripa machinalement à sa jupe. Bien entendu, les vêtements étaient également partie intégrante de son corps spirituel, alors elle n’avait pas vraiment besoin d’utiliser ses mains pour le faire.

— Grrr ! Sous-estimez pas une ado !! On a un cœur si sensible qu’on pourrait mourir si jamais un ballon venait à interrompre notre déclaration d’amour !!

La fille utilisa le corps physique qu’elle avait fini par obtenir pour frapper le tatami.

Mais…

— Dans ce cas, tu vas devoir t’assoir en seiza tout en devant supporter des pierres lourdes sur tes jambes.

— Les deux options sont trop extrêmes !! Il n’y a pas quelque chose du même niveau que se tenir debout dans le couloir en tenant des seaux remplis d’eau ?!

— … Malheureusement, si tu n’atteins pas le quota, un véritable démon de l’enfer viendra ici. La punition serait alors quelque chose qui dépasse l’imagination. Après tout, ils découpent avec leurs épées et brûlent tout sans se soucier de quoi que ce soit. Je suis sûr que tu as déjà vu ces peintures qui représentent l’enfer dans un livre d’histoire ou autre.

— Arg…!!

— Bah, tout est histoire de karma. C’est la base de tout. Je dirais que tu as du faire de bonnes choses aussi vu que tu peux choisir ta punition pour effacer tes pêchés. Si tu comprends, tends tes fesses.

La fille me fusilla du regard et dit : – Est-ce que je peux vous poser une question ?

— À toi de décider. Et cela vaut autant pour la possibilité de demander et le nombre de questions que tu peuxposer.

— Pourquoi vous dirigez un truc aussi horrible qu’un enfer privé ?

Était-ce vraiment quelque chose d’intéressant ?

Pour moi, il n’y avait qu’une seule réponse possile.

— Je n’ai aucun talent particulier. Je suis incapable de laver le corps des morts de leurs pêchés en mettant en place une barrière et en criant « Allez-vous-en, esprits du mal ! », alors j’en suis réduit à devoir gagner mes points de façon moins orthodoxe pour aller au paradis.

— Je croyais qu’on allait naturellement au paradis si on vivait une vie pure et juste ? Si vous vous retrouvez à avoir recours à une méthode pareille, c’est que vous êtes un type déguisé en prêtre qui a dû faire des choses vraiment pas très catholiques de son vivant ! Et je suis emprisonnée par ce même type ! Waouh, j’ai vraiment pas de bol !!

— Dans le bouddhisme, nous n’avons pas le droit de manger de viande, ni même de poisson. Et toute relation amoureuse est également proscrite. La ligne séparant le paradis de l’enfer est tellement fine qu’on finit par tomber de l’autre côté sans même s’en rendre compte. Dans notre société actuelle, vivre une vie normale signifie commettre des petits pêchés s’accumulant jour après jour. C’est juste que la plupart des personnes ne s’en rende même pas compte.

En entendant ça, la fille ne put que se murer dans le silence.

De ce que j’avais pu voir dans les données concernant sa vie, son plat préféré était les hamburgers géants.

Qui plus est, il y avait fort à parier qu’elle avait tenté de s’adonner à l’amour. Et les adolescentes sont du genre à réfléchir de façon vive à ce genre de choses, et non vaguement.

— Quoi qu’il en soit, après être passée par à une version douce des tortures de l’enfer, tu auras gagné ton laissez-passez pour la route de la réincarnation. Et moi, j’aurais fait un pas de plus vers le remboursement de la dette que j’ai contractée. Tu vois, tout le monde y trouve son compte.

— Kh… M-Mais…

— Oh, ne t’en fais pas. Simplement te toucher les fesses ne s’additionnera pas à mes pêchés sexuels.

— Ça m’énerve encore plus !!

Si on ne s’y mettais pas rapidement, on n’était pas sorti de l’auberge.

La fille semblait l’avoir compris, elle aussi. Elle se mit lentement à quatre pattes, mais alors…

— Ah !! Une seconde !!

— Qu’y a-t-il encore ?

— Vous avez dit que je m’étais suicidée, non ? Mais ça me dit rien du tout !!

— Bah, le subconscient des humains a tendance à altérer leur mémoire. La mort survient quand on dépasse les limites de la biologie. Un souvenir de ce moment détruirait ta personnalité.

Le visage arboré par la fille montrait qu’elle n’était manifestement pas convaincue.

Elle croisa les bras et dit : – Alors comment et pourquoi je suis morte ?

— Tu as sauté du haut d’une chute d’eau célèbre pour ses suicides. La raison était quelque chose en rapport avec un amour qui a mal tourné. Tu vois Yamada-kun de ta classe ? Le beau gosse de l’équipe de foot. Tu lui as déclaré ton amour et il t’a repoussée.

— Une petite seconde. Je me rappelle peut-être pas du moment où je suis morte, mais pour ce qui est de l’école, je me souviens très bien. Et je vois pas du tout qui est ce Yamada !!

— Ah ? dis-je confusément.

La fille commença à crier de désespoir.

— Je connais pas de Yamada !! J’échange pas de mails avec tout le monde dans ma classe. Et même si ce Yamada était dans ma classe, jamais je serais tombée amoureuse de lui !!

— … Qu’est-ce qui se passe ?

Ma question ne trouva que plus de questions en retour.

— Hé, une minute. Est-ce que je me suis vraiment suicidée ? Où avez-vous obtenu la raison de mon suicide ? Si c’était une lettre d’adieu, est-ce que vous êtes sûr qu’elle est de moi ? Si c’est des gens de mon entourage qui vous l’ont raconté, est-ce que ça a plus de valeur que de simples commérages ?

— …

— Ne détournez pas le regard !! Ç-Ça devient de plus en plus louche, cette histoire. Si c’était un meurtre et non un suicide, qu’est-ce que je fais ici ? La pauvre victime est sur le point de prendre une fessée pour des pêchés non prouvés !

— E-Eh bien, tel est le jugement qui a été prononcé à ton égard, alors contentons-nous de nous y tenir… d’accord ?

— Allez vérifier.

— … Sérieusement ?

— Allez vérifier !! S’il s’avère que vous avez battu une âme pure accusée à tort, vous n’allez pas vraiment gagner de points pour aller au paradis, pas vrai ?! Alors allez tirer cette histoire au clair !!

— Je veux bien, mais il y a ce quota de punitions que je dois respecter et tu es ma toute première prisonnière. Si je ne montre pas que je sais tenir comme il faut mon enfer privé, on risque de me le retirer…

— Allez. Tirer. Au. Clair. Cette. Histoiiiiiiiiiiiiiiiiire !!