Chapitre 3#

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Est-ce que nos vies quotidiennes ont changé ?

Je me demandais encore si j’allais aller en cours ce matin à mon réveil.

Un redoutable champ de bataille m’attendait là.

Malgré tout, y mettre un terme plus tôt pouvait diminuer les risques potentiels, plus que de se tourner les pouces en tout cas.

D’après ce type, me terrer chez moi ne mènerait qu’à empirer la situation.

Et puis, il n’était pas dit que je puisse me cacher dans ma chambre.

Car, avec ce phénomène, je risquerai de sortir juste parce que le cœur m’en dit.

Mais il est indéniable que cette méthode a une certaine efficacité.

C’était peut-être le seul moyen efficace que l’on connaissait.

Mais… qu’est-ce qui se passerait si je venais à l’utiliser moi-même ?

Quand je me plongeait profondément dans mes pensées, je tombais dans une abysse sans fin.

Jusqu’où allais-je tomber ? Est-ce que j’allais souffrir ? Qu’est-ce qui se trouvait tout en bas ?

Je n’avais pas envie de savoir.

Étant donné la situation, peut-être que bien s’entendre avec tout le monde était le meilleur moyen.

Via la satisfaction, je pourrais peut-être m’empêcher de dépasser les bornes – j’espère.

Néanmoins, le nœud du problème était de maintenir une distance avec eux.

Il est logique que quelqu’un veuille se rapprocher quand on est trop loin l’un de l’autre. Mais d’un autre côté, quand ils sont trop proches, l’un pourrait prendre le risque de se rapprocher en plus. C’est ce qu’on appelle les humains.

Au final, je ne choisis que des chemins compliqués.

Je n’avais pas pu trouver de réponse même après avoir longtemps cogité dessus.

Si seulement j’avais un cœur doux, clair et sincère, peut-être que j’aurais pu y arriver, et je n’aurais pas à m’inquiéter des problèmes à venir.

Mais c’était là tout le problème : suis-je quelqu’un de gentil ?

□■□■□

— Salut, Yaegashi. T’es vraiment à la bourre aujourd’hui.

Après être arrivé en cours après la pause du milieu d’après-midi, Taichi Yaegashi avait été interpellé par un de ses camarades, Shingo Watase.

— Euh… C’est une longue histoire, répondit Taichi de façon ambigue et peu claire.

L’histoire du « déchaînement de désirs » intriguait toujours Taichi.

— C’est bizarre de voir un élève aussi sérieux être en retard.

— Tout le monde devrait être à l’heure, tu sais.

— Oh. Les élèves modèles parlent vraiment pas comme tout le monde, dit Watase d’un air taquin. Ah, au fait, t’as vraiment pas de bol ! T’as manqué ta chérie en train de faire un truc de fou. Ouah ! C’était épique !

— Qui t’appelle ma chérie ?

— Bah, cette fille de ton club là.

— Tu parles de Nagase ?

— Oh… Alors c’est d’elle que t’es amoureux.

— C-Comment ça ?

— Les deux seules filles de ton club qui sont dans notre classe sont Inaba et Nagase, non ? Alors, si tu penses à Nagase quand t’entends le mot « chérie », ça coule de source…

— Hmm… Tu m’as piégé…

(Il a pas de super notes (ou plutôt, il travaille pas), mais il est étonnament malin pour ce genre de choses.)

— Bah en même temps, si t’étais pas aussi réticent à l’idée de dire laquelle tu préfères et avec laquelle tu t’amuses.

— J’insiste à chaque fois sur le fait que je sors avec aucune des deux, non ?

— Quoi ? Dis plutôt que t’arrives pas à te décider, tu seras plus crédible, gars !

Taichi admettait qu’ils traînaient ensemble. Malgré tout, il ne voulait pas être pris pour un homme volage.

— Laisse tomber. Du coup, tu préfères Nagase. Si tu veux en parler, je suis là pour toi, mec. Fais pas ton timide.

— J’ai pas besoin de ton aide ! Non… Peut-être que si en fait, dit Taichi, en s’arrêtant en plein milieu comme pour essayer de se retenir.

Surpris sur le moment, Watase lâcha ensuite un petit rire amusé tout en regardant au loin.

— Ah bon ? T’es déjà arrivé aussi loin. Que c’est triste de voir tout le chemin parcouru pour en arriver là…

— On se connait que depuis six mois.

— Haha. Et alors ? Bon, faut que j’aille à la cafét”. Tu devrais aller voir ta chérie, ok ?

— Arrête de parler de ça… Ah, attends ! Va pas répandre des rumeurs infondées à ce sujet !

Lui tournant le dos, Watase fit un signe de la main tout en s’éloignant lentement.

Taichi le regarda partir.

Dès que Watase bifurqua, il n’était plus visible.

— Haa…

Taichi poussa un profond soupir, adossé au mur comme s’il regardait par la fenêtre.

— Ahah… J’étais tellement nerveux… murmura-t-il à voix basse pour que personne ne l’entende.

Son cœur battait à tout rompre.

Si ses désirs venaient à être libérés maintenant…

Il voulait la refouler, mais cette peur avait malgré tout envahi son esprit, il n’avait aucun moyen d’y résister.

— Est-ce que je vais tenir jusqu’à ce soir ?

Il avait reçu un message de la part d’Inaba, qu’elle avait également envoyé aux autres : « Restons comme d’habitude. Bien sûr, la condition préalable est de pouvoir soigneusement contrôler nos désirs. Tout ira bien. Croyez en vous. »

Taichi était profondément convaincu par ce qu’Inaba avait pointé du doigt la veille.

Il devait croire en lui.

S’il pouvait se souvenir d’éviter de penser à des choses bizarres et de garder son attitude habituelle, tout allait bien se passer. « Crois en toi ! » se dit-il.

— Taichi. Pourquoi t’es en retard ? Il s’est passé quoi ?

Il fut questionné dès sa rencontre avec Inaba.

— On peut dire qu’il s’est passé quelque chose… mais peut-être qu’il s’est rien passé… Non, peut-être que mes désirs se sont déchaînés… Ouaagh !

Inaba avait pincé les lèvres de Taichi avec la main droite.

— Ça fait mal ! Tu m’as griffé avec tes ongles !

Taichi repoussa les doigts d’Inaba. Ses lèvres étaient un peu engourdies.

— Dans ce cas, évite de parler aussi fort quand tu parles de ce genre de choses en classe. Faudrait pas que les autres l’entendent, crétin.

— … D-Désolé.

Inaba avait parfaitement raison. Taichi s’était excusé dans la foulée pour son erreur.

Il restait environ la moitié des élèves dans la salle de classe pendant la récréation de l’après-midi. Comme c’était un peu bruyant, il n’était sûrement pas la peine d’avoir peur d’être entendu en parlant à voix basse.

— … Mais si possible, est-ce que tu pourrais me le rappeler de façon moins douloureuse ?

— Pourquoi tu commences pas par être moins débile ? Je me rappelle pas avoir fait usage de la violence sans raison.

(Ah bon ? Je me rappelle que ça arrive assez régulièrement pourtant…)

— Bon. Qu’est-ce qui t’est arrivé ? Oh, Taichi. Tes joues sont un peu rouges.

— Hmm. Toujours ? Je pensais que c’était parti…

Taichi se caressa sans cesse les joues.

— C’est toujours un peu rouge, mais ça se voit pas tant que ça. Bon, et sinon – qu’est-ce qui s’est passé ?

— Beeen… Moi aussi, je flippais. Je savais pas quel genre de désirs allait se libérer… Et apparemment, ça m’est arrivé ce matin.

— C’était quel désir ?

Le regard d’Inaba devint perçant. Elle paraissait également extrêmement sérieuse.

— J’ai bien peur que c’était… « le désir de dormir ».

— Hiyaaah !

Inaba lança une violente pichenette dans le front de Taichi.

— Aïeuh ! Hé. Tu m’as frappé sans raison !

— Qui t’a dit de raconter un truc aussi nul et banal avec un visage sérieux ! Faut pas stresser les autres comme ça pour un rien, abruti !

— C-C’est pas aussi simple que ça en a l’air. Ça m’a angoissé toute la journée.

Ce matin-là, Taichi ne s’était pas levé à l’heure habituelle, et ce, malgré que son alarme sonnait fort. Alors qu’il allait bientôt être en retard pour les cours, sa mère a demandé à sa sœur d’aller le réveiller.

Hélas, elle avait beau tenter de le secouer et de le gifler, Taichi ne montrait aucun signe de se réveiller.

Sa sœur l’avait appelé comme d’habitude, mais voyant que Taichi ne réagissait pas à ses appels, elle s’était mise à avoir peur. Plus tard, elle avait giflé Taichi au visage de toutes ses forces, mais il ne s’était toujours pas réveillé, ce qui la fit pleurer.

En entendant les pleurs de sa fille, la mère de Taichi entra dans la chambre pour voir ce qui se passait. Pourtant, après avoir vérifié le pouls et la respiration de Taichi, elle avait dit : « Hmm. Tout va bien. Il a peut-être juste besoin de sommeil », et expédia sa fille à l’école, avant de se rendre elle-même à son travail.

C’était ce que Taichi avait appris de la note laissée sur la table à manger et du message de sa sœur (l’essentiel, environ quatre-vingt-dix pourcent, venait de sa sœur).

— Telle mère, tel fils. Évidemment.

— En quoi on se ressemble ?

— Vous êtes tous les deux super longs à la détente, sans compter votre capacité abberrante à garder la tête froide peu importe la situation !

(Fichtre. Y’avait manifestement un souci avec son fils, et pourtant ma mère est passée à autre chose en mode « peut-être que tout va bien ». Qu’est-ce que j’ai fait pour mériter d’être comparé à elle ?)

— Mais, d’après ce que tu dis, tes désirs se sont libérés. Tu ressens quelque chose de différent ?

— Non. Rien de spécial. Enfin, je dois admettre que je me sens très bien là.

— C’est parce que t’as bien dormi, espèce d’abruti.

Ce n’était pas plus mal d’être traité d’abruti par Inaba – sûrement que quelque chose clochait.

— Est-ce que t’as entendu une voix dans ta tête ? embraya Inaba.

— Pas que je me souvienne. Mais peut-être que j’ai oublié parce que je dormais.

— Oh. Peu importe dans ce cas, peut-être que ce déchaînement de désirs a eu lieu pendant ton sommeil et t’a forcé à dormir plus longtemps… Tu t’es pas réveillé puis rendormi, pas vrai ?

— Ahah. Non.

— Sérieux ? Dans ce cas, ça prouve que ce qu’a dit l’autre pourriture sur les désirs inconscients était vrai – même quand tu dormais.

Inaba croisa les bras avec un visage songeur.

— Au fait, cet épisode a été le plus long cas observé… Oui, peut-être que la durée du déchaînement de désir est très longue, ou peut-être qu’après que ta sœur ait tout fait pour essayer de te réveiller, tu as quand même continué à dormir malgré que le phénomène a pris fin. Enfin, passons. Peu importe ce que c’était vu que c’est fini. T’as eu de la chance que ça arrive alors que tu dormais chez toi.

— On va faire comme ça alors… Oh, je viens de me rendre compte de quelque chose.

— Nagase est affalée sur sa table sans bouger d’un pouce… C’est parce que ce truc de libération de désir s’est activé pile au moment où elle avait vraiment envie de dormir ?

Taichi et Inaba discutaient devant Iori Nagase, mais celle-ci ne montrait aucun signe de vouloir se joindre à la conversation, et elle ne bougeait pas du tout.

— Pas la peine de t’en faire pour ça, mais… son état est un peu inquiétant. Je lui ai pourtant dit de pas trop s’en faire pour ça.

— Que… Qu’est-ce qui s’est passé ?

Taichi se rappela que Watase lui avait parlé d’un incident l’impliquant.

— Taichi te pose une question.

Inaba posa sa main sur l’épaule de Nagase.

— Beeeuh…

Nagase leva la tête les larmes aux yeux. Son visage était livide, et ses yeux étaient rouges, on pouvait voir les veines dans le blanc de ses yeux. Sa couette attachée à l’arrière tombait en donnant l’impression d’être abattue elle aussi.

— Quoi ? Qu’est-ce qui s’est passé ? demanda Taichi d’un air désespéré.

Il était convaincu que quelque chose de grave s’était produit.

— Dis, Taichi…

— Quoi ?

— Taichi… Est-ce que ça t’est déjà arrivé… dans un moment super sérieux, ou dans un endroit super calme mais rempli de gens… genre au cinoche ou pendant un contrôle… d’avoir une envie soudaine de briser ce silence ?

— Hein ? Non, pas vraiment… Mais je peux comprendre. Ou plutôt, ça m’étonnerait pas de toi…

(Se pourrait-il que…)

Le visage de Taichi se tendit.

— Aujourd’hui, alors que tout le monde planchait sur un contrôle… D’un coup, j’ai eu envie de crier… alors j’ai pas pu m’empêcher de gueuler « Yahoooou »…

Quelle tragédie.

— Pire, t’as également imité l’accent british tout en levant la main gauche et en sautillant sur place.

— I-Inaban… Pas la peine de remuer le couteau dans la plaie…

Taichi était persuadé que cela devait être une scène pour le moins surprenante.

— Tu t’en es sortie en disant au prof que t’avais trop dormi, t’es plutôt bien retombée sur tes pattes, ajouta Inaba.

— Du coup… comment ont réagi les autres ? demanda Taichi à Inaba, avec une pointe d’hésitation et de peur.

— Évidemment, ils ont tous flippé sur le coup. Puis ils ont tous éclaté de rire. Au moins, ils se sont tous dit que c’était quelque chose de normal pour Iori, du coup, tout est revenu à la normal après ça.

— C’est ça le pire ! J’ai gueulé « Yahoooou » en plein contrôle, et tout le monde a trouvé ça normal… C’est comme ça que les gens me voient… Beeeuh…

Nagase essuya ses larmes avec un mouchoir.

— Oh, alors comme ça, Nagase est du genre à avoir envie de crier « Yahoooou » en classe…

— Taichi… Merci de pas faire genre tu comprends tout avec un air aussi calme… Sans cette histoire de déchaînement de désirs, j’aurais jamais fait ça…

— D’ailleurs, tes désirs sont vraiment… tranquilles, murmura Inaba, mettant fin à la conversation.

C’était une scène des plus calmes et harmonieuses durant la pause de l’après-midi dans la classe 2nde C.

□■□■□

C’était après les cours que Taichi avait péniblement suivi.

Sa nervosité s’était légèrement dissipée.

Bien qu’il lui fallait rester concentré sur ses moindres faits et gestes, lui et ses compagnons de club avaient retrouvé une certaine sérénité.

Aujourd’hui, il n’y avait que quatre membres sur cinq au club.

Yui Kiriyama manquait toujours à l’appel.

Les membres du club débattaient sur le fait d’aller lui rendre visite ou non. Après âpres discussions, ils avaient décidé de l’appeler, mais elle s’était contenté de dire qu’elle reviendrait en cours quand l’agitation qu’elle avait suscitée se serait calmé, et qu’il n’était pas nécessaire qu’ils viennent la voir. Comme sa réponse semblait induire qu’elle ne voulait pas qu’on la voit dans cet état, ils décidèrent d’annuler leur visite.

— Ça m’embête que Yui ait pas pu voir « Pois de cœur » depuis qu’il est réapparu… Bon. Tant pis. On l’a suffisamment dérangée comme ça. Il vaut mieux la laisser se calmer par elle-même… murmura Inaba à elle-même tout en baissant les yeux.

— Raaah ! Est-ce qu’elle va bien ? Tout ça, c’est la faute de « Pois de cœur »… Elle a fondu en larmes pendant la baston à la gare. Si elle pleure encore une fois, je lui pardonnerais jamais !

— Aoki ! Cite-moi les cinq meilleures qualités de Yui !

— Adorable ! Joyeuse ! Forte ! Super adorable ! Jolie chevelure ! Petite ! Pure ! Comme une enfant avec un bon fond… Apparemment, cinq suffit pas !

— T’as dit « adorable » deux fois. Oh, t’en as même cité huit, commenta Taichi à voix basse.

— C’est bon, Aoki ? Tu t’es calmé ?

— Heiiin ? J’étais énervé ? Ah… On dirait que j’étais un peu en colère après « Pois de cœur ». Qu’est-ce qui s’est passé ?

— Je te rappelle que j’ai dit hier qu’il fallait éviter d’avoir des sentiments trop intenses. De cette façon, nos désirs le seront pas trop non plus.

— C’est vrai. Mais j’ai presque… D’un air abattu, Aoki baissa la tête, en montrant des signes de culpabilité.

— Exact. Au moment où un déchaînement se produit, et que t’as envie de crier « Yahooou », c’est tout ce qu’il faudra pour que ça arrive.

— Hé, Taichi. C’est une nouvelle forme de persécution ? C’est ça ? demanda Nagase en tirant sur la manche de Taichi.

À ce moment-là, Aoki leva soudain la tête.

— D’ailleurs, Inaba, tu nous avais pas dit de nous comporter normalement ? Hmm… qu’est-ce qu’on fait ?

— En fait, minimiser nos désirs est le meilleur moyen, mais c’est difficile de contrôler ses émotions à la perfection. Alors afin d’éviter les problèmes, on devrait éviter de trop réprimer nos sentiments, et se comporter normalement en pensant à autre chose pour se calmer quand on ressent des émotions intenses comme la colère, expliqua Inaba.

— Ouais. Alors il me suffit de penser à Yui quand je sens que la colère monte pour me calmer.

— Ça peut le faire pour toi, oui, acquisça Inaba à contrecœur.

— Ok. Je vais essayer. Une Yui, deux Yui, trois Yui…

— Tu comptes les moutons ? commenta Taichi.

— Quatre Yui… Hein ? J’ai trop envie de voir Yui maintenant ! Oups… Je ressens l’envie soudaine d’acourrir à ses côtés ! Ce serait un déchaînement de désir ?

— C’est tellement débile que je vais me passer de commentaire, mais pour éviter que les choses empirent, écoute bien ce que je vais te dire. Il faut déjà que tu apprennes à quoi ça ressemble quand tes désirs prennent le dessus ! En gros, c’en est pas un là ! s’écria Inaba tout en frappant puissamment Aoki à la tête.

— Inaban, relax, relax. C’est toi qui as dit qu’on devait rester calme.

Après avoir pointé ce fait du doigt, Nagase continua en murmurant :

— Mais, je m’inquiète pour Yui qui s’est battue contre ses types à la gare… Yui a du ressentir un profond désir à plusieurs niveaux…

Kiriyama souffrait d’androphobie, mais ses aptitudes de combat lui permettaient parfois de prendre le dessus sur les garçons.

Taichi se remémora la fois où Kiriyama était au bord des larmes quand elle lui avait parlé de son mal-être.

Taichi voulait la protéger. Il savait qu’il devait protéger cette fille au corps frêle qui souffrait.

« Sauve-la ! »

Une voix résonna dans sa tête.

Soudain, sa conscience quitta son corps.

Malgré tout, il était toujours conscient. La température de son corps monta dans le même temps.

Taichi se leva brutalement de sa chaise.

Tout le monde fut prit par surprise.

Taichi voulait leur dire que ses désirs avaient pris le dessus, mais il ne pouvait pas contrôler sa bouche.

Un irrésistible désir de se ruer dehors s’insinua immédiatement son esprit.

Et pourtant, il n’en avait pas envie.

Deux choses se confrontaient à l’intérieur de son corps.

— Je vais sortir prendre l’air, dit simplement Taichi tout en se dirigeant vers la porte.

— Ce… c’est un déchaînement de désir ?

Il entendit la voix d’Inaba derrière lui.

Tout semblait lui échapper de vue.

Il n’avait plus qu’une seule chose à l’esprit, et il devait le faire.

Il voulait vraiment s’arrêter, mais c’était impossible.

Taichi se décida à courir.

— A-Attends, Taichi !

— Attends, Taichi !

Nagase et Aoki aggripèrent respectivement la main droite et la main gauche de Taichi.

Ce dernier se débatta en tentant de se défaire de leur étreinte.

— Réveille-toi, Taichi ! Compte les Yui dans ta tête comme on a dit tout à l’heure ! Ah… ça marche pas avec lui ?

Il pouvait entendre la voix d’Aoki.

— Taichi ! Qu’est-ce qui te prend ? Qu’est-ce que tu comptes faire ?

Il pouvait également entendre la voix de Nagase.

Taichi lâcha les mots de l’impulsion qui s’était emparée de lui.

— … Je dois aller la sauver… Il faut que je délivre Kiriyama de sa profonde souffrance…

Paf !

Sans crier gare, Inaba avait frappé Taichi en plein visage.

— T’es vraiment prêt à tout pour aider les gens, hein ? Ça me dégoûte.

Taichi était d’accord avec elle. Après tout, ils avaient d’un commun accord décidé de ne pas aller voir Kiriyama ce jour-là.

Malgré tout, Taichi ne pouvait supporter l’idée que Kiriyama pouvait être en train de souffrir en ce moment. Il voulait l’aider dès maintenant.

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Taichi se défit de leur étreinte, mais il fut à nouveau agrippé au même endroit.

— Calme-toi !

Nagase tira la main de Taichi.

— Le désir d’aider Yui… peut-être que ça changerait rien de le laisser partir… mais il vaut mieux l’arrêter. Ok. Iori, prends-le dans tes bras !

— Pigé ! Inaban… pourquoi moi ? Aoki est bien plus fort que moi, réfuta Nagase.

— Non. Je viens d’avoir une idée. Si on crée un désir qui transcende tous ses autres désirs, peut-être que ça changera quelque chose, ou peut-être que ça mettra fin au déchaînement de désir… Qu’est-ce que t’en penses ? expliqua Inaba. Taichi tenta de s’extirper de l’emprise d’Inaba et de s’avancer, mais elle l’en empêcha rapidement.

Taichi se tortillait sous l’étreinte des trois.

— Même si les chances de réussite sont faibles, ça vaut le coup d’essayer, alors, vas-y ! Enlace-le ! Fais de ton mieux pour réveiller ses désirs pervers. Vite !

— Parle moins vite… Hein, même si je déteste pas l’idée de le faire !

— Vas-y, Iori-chan, pour Taichi ! dit à son tour Aoki, répétant les paroles d’Inaba.

— Vous cherchez vraiment à m’aider ? J’ai plutôt l’impression que vous vous amusez bien là, cria Taichi tout en repoussant leurs mains.

— T’as un problème ? dit Inaba d’un air nonchalant.

(Je m’attendais pas à ce qu’elle dise ça sans le moindre regret. Qu’est-ce que je fais ?)

— C’est pas dangereux du tout. C’est l’idiot qui adore se sacrifier, qui aime placer la vie des autres avant la sienne, pour votre bien.

Après qu’Inaba ait dit ça avec insouciance, Nagase pointa du doigt Taichi et demanda :

— Au fait, Taichi. C’est bon, t’as repris tes esprits ?

□■□■□

— On dirait que la durée des épisodes varie entre une dizaine de secondes et quelques minutes, dit Inaba dans le local du club, qui avait retrouvé son calme.

— Et le déchaînement que j’ai eu ce matin alors ?

— … Hm, j’espère que c’était une exception, répondit Inaba en fronçant des sourcils comme si on venait de la toucher là où ça fait mal.

— Ça a été très court cette fois-ci… je crois ? Dans ce cas, même s’il y a des choses qu’on veut faire, si on n’agit pas tout de suite, il est possible que l’épisode s’arrête avant qu’on est fait quoi que ce soit, analysa Nagase.

— Peut-être qu’il y a pas mal de situations similaires.

Après avoir obtenu confirmation de l’assentiment d’Inaba à travers son commentaire, Nagase continua : – Du coup, peut-être qu’il se passera rien si on n’a que des désirs qui peuvent pas se réaliser en un clin d’œil.

— Mais, les choses qu’on veut faire, celles qui sont instantanées, ce sont ces choses qui nous entourent, non ? Je pense qu’on y pense inconsciemment qu’on le veuille ou non.

Après qu’Aoki eut dit ça, Nagase se couvrit le visage avec ses mains.

— A-Aoki m’a contredit avec un ton si sérieux !

— Pourquoi tu te sens obligée d’être aussi surprise ? Iori-chan ! Moi aussi, il m’arrive d’être sérieux !

— Avec toute cette agitation et tous ces évènements, ce type doit sûrement prendre un malin plaisir à nous observer douter et souffrir. La seule chose qui compte pour lui, ça serait l’hésitation de nos cœurs et le flottement dans nos relations ? Ça expliquerait pourquoi il ne veut pas que ça cause trop de problème pour s’en servir pour nous enfoncer dans le doute. Vu comme ça…

Pendant qu’Aoki et Nagase débattaient vivement entre eux, Inaba se mit à émettre des hypothèses et des déductions de son côté. Taichi voyait bien qu’elle n’avait pas vraiment bluffé face à « Pois de cœur » quand elle lui avait dit qu’ils se battraient jusqu’au bout. C’était bel et bien Inaba.

Elle se tenait droit en se rongeant les ongles avec un regard songeur.

Taichi la regardait, et leurs regards se croisèrent.

— Pourquoi tu me regardes avec ce regard de chèvre ?

— Un regard de chèvre… Non, peut-être que mes yeux ressemblent à ceux d’une chèvre ?

(Si tel est le cas, alors c’est vraiment grave. Je vais avoir trop peur pour regarder les filles maintenant.)

Puis, cette fois-ci, Inaba fit un regard de chèvre en direction de Taichi.

— Q-Quoi ?

— Bah. Je crois que Taichi est sans aucun doute le plus dangereux d’entre nous avec ce phénomène.

— Comment ça ?

— Parce que t’es prêt à donner ta vie pour quelqu’un même de façon consciente, non ?

Au moment où il fallait que quelqu’un meurt, Taichi s’était spontanément proposé.

— Si les désirs profonds de ton cœur venaient à se libérer, qui sait ce qui se passerait. Pour tout te dire, je pense même que ça serait terrifiant.

Taichi ne pouvait la contredire.

— Tu vas pas mourir pour de bon cette fois-ci, pas vrai ?

(Je devrais pas être comme ça… Non, du moins, je l’espère.)

(C’est parce que j’ai retenu la leçon.)

(Si je prends pas en considération les gens qui m’entourent et que je suis que mes sentiments, ça fera souffrir les autres ou les conséquences de mes actes pourraient leur causer d’immenses problèmes.)

(Il faut que je fasse gaffe.)

(Mais, qu’est-ce que j’espère vraiment au fond de moi ?)

(Je n’en sais rien, moi non plus.)

(Non, peut-être que ce phénomène, le déchaînement de désirs, m’en dira justement plus ?)