Le cas d’Harumi#

Partie 1#

— Hein ? Ton classement est identique au mien, dit Harumi les yeux écarquillés.

Ils discutaient tout en quittant l’amphithéâtre et traversaient le campus de l’université plongé dans l’obscurité.

— Ça veut dire qu’on pense de la même façon ? Le prof avait parlé de quelque chose au sujet d’étudier nos cœurs, alors ça veut peut-être dire qu’on est très compatibles.

— Quoi qu’il en soit, dit Anzai, la coupant dans son flot de commentaires.

C’était exactement comme Aisu l’avait dit. Il pouvait voir à quel point il risquait de perdre le sens des distances émotionnelles s’il se laissait attendrir par le torrent de mots doux d’Harumi.

— C’était vraiment bizarre. Tout était bizarre de A à Z. Mais le plus bizarre dans tout ça…

— Oh, oh, oh ! s’exclama Harumi en levant la main avec excitation. Le fait qu’il n’y avait que des gens que je n’avais jamais vus avant était bizarre.

— ?

— Les autres participants au sondage. Je suis ici depuis plus de six mois, et je n’avais jamais vu ces gens-là.

— L’université est grande. C’était en plus un rassemblement d’étudiants à problèmes, alors y’a rien d’étonnant à ce que ce que tu ne connaisses pas la grande majorité d’entre eux, non ? Je veux dire, je vous ai jamais rencontrées avant, moi non plus.

— Mais je t’ai déjà vu, moi.

— Hein ?

— Je t’ai aperçu dans le restaurant universitaire. Tu portes toujours le même collier, non ? C’est comme ça que je me suis rappelé de toi.

Anzai se mit à tousser.

Cette remarque laissait vraiment trop la porte ouverte à un malentendu et il pouvait voir que la fille de cabaret nommée Aisu souriait à belles dents.

Ignorant tout de ça, Harumi continua.

— Mais je ne me souviens pas avoir déjà aperçu les autres personnes participant au sondage. Le prof est parti juste après la fin et la seconde d’après, je me suis rendue compte que les autres participants s’étaient évaporés. Je me demande pourquoi. J’ai l’impression que je ne reverrai plus jamais ces gens qui ont disparu quelque part ailleurs.

— C’est n’importe quoi.

— Ah ha ha. Je sais. Mais quand je t’ai vu en train de dormir dans l’amphi, ça m’a rappelé un ballon. Un ballon coincé dans une branche d’arbre. J’ai eu l’impression que t’allais t’envoler je ne sais où si je t’avais pas réveillé.

Les endroits comme les supérettes ou les restaurants universitaires se trouvaient dans des bâtiments dédiés séparés physiquement du bâtiment principal de l’université. Il en était de même pour la cafétéria. Les professeurs et étudiants avaient tous la flemme de sortir dehors pour s’y rendre les jours de pluie et il aurait très bien pu ne pas y en avoir du tout si de toute façon il fallait traverser tout le campus pour y arriver.

Quand ils arrivèrent à la cafétéria, Aisu esquissa un sourire cruel.

— Oh, le manager au fond vient tout juste de faire claquer sa langue.

— Évidemment. Il vient juste de perdre l’occasion de fermer à huit heures.

— Il y a personne d’autre à part nous ici, mais je vais nous réserver une table.

— Hotaru-san, dis-nous ce que tu veux.

À chacune de leurs actions, Anzai se rappelait que c’était un groupe au complet formée de filles. Il ne pouvait que s’interroger sur pourquoi elles l’avaient invité alors que leur groupe était au complet.

Pendant qu’il se demandait quoi faire, Harumi s’adressa à lui.

— Le rôle du mec, c’est de transporter les boissons jusqu’à la table.

— Je vais juste m’estimer heureux de ne pas avoir à payer pour tout le monde.

Une fois les boissons prêtes, Anzai transporta le plateau en plastique jusqu’à la table tout en marmonnant quelque chose comme quoi quatre ou cinq gobelets en plastique n’étaient pas grand chose.

— Qu’est-ce qui t’arrive, Harumi ? T’as commandé une tonne de cannelle ?

— Pour ma part, je ne comprends pas comment les gens font pour le boire sans sucre. Ça déchire la langue.

— Tu changes jamais, Hotaru-san. Tu t’en fiches du contenu, tu prends toujours quelque chose de nouveau ou une boisson de saison.

— Bah, tu commandes toujours de la gelée au café à chaque fois que tu viens ici. T’es censée prendre à boire, tu sais ?

Les quatre fille se tournèrent ensuite en direction d’Anzai comme pour dire « Et toi, qu’est-ce que t’as pris ? » Le fait d’avoir un groupe essentiellement constitué d’inconnues qui le fixaient du regard ne le mettait pas vraiment à l’aise, alors il répondit sans détour.

— Du cognac.

— T’as pris de l’alcool ?! Je savais pas qu’ils servaient de l’alcool ici.

— Y’a écrit 40 degrés. Tu vas boire ça cul sec ?

— Si c’est le cas, ça veut dire que tu ne rentres pas en voiture. Et vu que t’as accepté de te joindre à nous pour Dieu sait combien de temps, tu t’en fais pas pour le dernier métro non plus. Les quartiers aux alentours ne sont pas donnés, alors il n’y a pas de résidences étudiantes. J’en conclus que tu dois vivre dans le dortoir.

— Et voilà !! Encore ses déductions de détraqué sexuel !! Je me demande toujours pourquoi elle ne les utilise pas pour quelque chose de plus tranquille comme les enquêtes criminelles !

La taquinerie continue devait avoir fait mouche vu que Kozue se mit à envoyer quelques gouttes du liquide clair et visqueux en direction d’Aisu avec l’arrière du couvercle de son pot de sirop.

La fille de cabaret lança ensuite des insultes qui brisèrent son image de demoiselle.

Tout en ignorant tout ça, Harumi s’adressa à Anzai.

— Pour en revenir à nos moutons, je disais que j’avais jamais vu aucun des autres participants sur le campus, pas vrai ?

— T’avais pas fini ?

— Pour une raison ou une autre, ça m’a rappelé les rumeurs sur ces gens qu’on peut embaucher pour faire tout et n’importe quoi.

— Oh, j’ai entendu parler d’eux.

Le rapport avec ce qu’avait dit Harumi juste avant n’était pas clair, alors Anzai avait répondu sans grand enthousiasme. Ces personnes qui pouvaient accomplir n’importe quelle tâche étaient souvent mentionnées à la télé, mais personne ne savait vraiment si elles existaient vraiment. Tout du moins, aucune boutique n’en faisait la publicité sur leur enseigne et aucune affaire n’avait ce genre de description de poste au département de recherche d’emploi de l’université.

— Y’a des rumeurs au sujet d’un groupe comme ça dans le coin ? Quand j’ai déménagé ici, je me souviens de ces gens qu’on pouvait embaucher pour pas cher pour transporter ses bagages…

Par contre, Anzai n’avait pas été tenté d’y avoir recours. Une véritable société de déménagement était une chose, mais il pensait qu’il fallait être fou pour confier ça à des gens qu’on ne connaissait ni d’Ève ni d’Adam.

— Il parait qu’ils peuvent vous débarrasser d’un mec un peu trop collant.

— Je vois pas l’intérêt, dit Anzai tout en sirotant son cognac. Y’a déjà plein de gens qui peuvent faire ça. Il suffit de déménager ou d’appeler la police. Quelque chose de légal sera toujours plus sûr de toute façon. Ouais, pas la peine d’embaucher des types sortis de nulle part.

Afin de tenter d’échapper au conflit du pot de sirop, Hotaru approcha sa chaise de celle d’Anzai.

— Et qui sait comment les contacter déjà ?

— Avec des paquets de mouchoirs, déclara Harumi avec un soudain sourire en coin. On voit de temps en temps quelqu’un distribuer des mouchoirs devant la station de métro près du campus.

— … Il y a un numéro de téléphone écrit dessus pour les contacter ?

Anzai imaginait mal beaucoup de gens appeller un numéro bizarre du fait qu’il était possible que l’appel induise des frais hors-forfait exorbitants.

Hotaru semblait être d’accord, mais elle avait permis à la conversation de continuer. Peut-être que c’était l’astuce pour permettre à une amitié de se former.

— Et ça me paraît inutilement compliqué comme procédé. Si la personne distribuant les mouchoirs est leur contact, ça serait pas plus rapide si elle tenait simplement un panneau et prenait les requêtes des gens directement ?

— Peut-être que c’est parce que personne ne veut que les gens sachent qu’il fait appel à eux. On peut toujours garder les mouchoirs dans sa poche en faisant mine de ne pas être intéressé et les contacter plus tard.

— Si ces personnes tiennent à ce que ça reste un secret, tu crois vraiment qu’elles iraient en parler à des inconnus ? Et si ce groupe s’occupe vraiment de trucs louches, tu crois qu’il resterait planté devant une station de métro pendant des heures ? Il y a trop de caméras de nos jours.

— Mais…

Que ce soit son véritable avis ou si elle tentait de maintenir la conversation, Hotaru exposa son point de vue sous un autre angle.

— Qu’ils utilisent des paquets de mouchoirs ou pas, il est vraisemblable qu’ils veuillent utiliser une méthode discrète pour les contacter s’ils vont réellement faire « tout et n’importe quoi ».

— Tout et n’importe quoi…? Tu veux dire autre chose que t’aider à déménager ou à se débarrasser d’un casse-pied ?

— Il paraît que quelqu’un les a appelés pour faire une blague et leur a demandé de rassembler des gens pour un lynchage en groupe, et ils l’ont vraiment fait.

— … Cette conversation vient juste de prendre une tournure glauque.

— Ce plaisantin devait semble-t-il payer une énorme somme d’argent en échange de ce service, mais il a disparu après avoir essayé de s’excuser et d’expliquer que c’était une blague.

— Dans ce cas, je me demande si les autres gens dans l’amphi étaient de ce groupe, dit Harumi.

— « Dans ce cas » ? Je vois pas vraiment le rapport, mais qu’est-ce qu’ils feraient là ? Et qui les aurait embauchés ?

— Hein ? Le prof peut-être ? Tu sais, comme ces gens qu’on embauche pour faire grossir une foule.

— …

— …

Anzai et Hotaru se turent. Harumi avait vraisemblablement dit tout ça sans vraiment y réfléchir, mais la pensée avait donné des frissons dans le dos des deux jeunes gens.

Était-ce tous des faux étudiants ?

Ce n’était pas un rassemblement de gens en manque d’ECTS ou qui avaient des problèmes personnels ?

Les gens juste à côté d’eux étaient des gens bizarres qui étaient là pour d’obscures raisons ?

Et pas juste un peu. Avaient-ils été complètement cernés par des gens comme ça ?

Pendant tout le sondage ?

Malgré le fait qu’il était possible qu’ils se souviennent de l’apparence des gens autour d’eux et qu’ils auraient pu jeter un œil à leur nom sur les formulaires ?

Anzai sentit de la sueur froide couler sur son front.

Il pensa rapidement à ce qu’il devait réfuter afin de préserver sa santé mentale.

— Certes, mais je doute qu’un groupe qu’on peut embaucher pour tout et n’importe quoi existe vraiment.

— C’est vrai. Combien de requêtes pourraient-ils recevoir en une année ? Je vois pas du tout comment ça pourrait être rentable.

— Et même avec le peu qu’ils arrivent à avoir, ils leur faudrait facturer des prix insensés pour chaque cas.

— Si ça coutait des millions de yens juste pour faire une mauvaise blague, ça serait plus simple de le faire soi-même.

— Si tous ces gens étaient de ce groupe, il leur faudrait générer suffisamment de bénéfices pour faire vivre plusieurs douzaine de personnes.

— Hein ? Mais…

Harumi marmonait toujours quelque chose avec sa douce voix, mais Anzai et Hotaru continuaient à réfuter chacun de ses arguments.

Malgré tout, la voix calme de Harumi se fraya un chemin jusqu’aux oreilles d’Anzai à travers les failles de leurs arguments.

— Peut-être qu’en temps normal, ils gèrent une affaire tout à fait normale. Et peut-être qu’ils ne demandent pas l’argent au début avant d’utiliser la violence pour faire payer de très, très grosses sommes d’argent ?

Partie 2#

Et c’est ainsi que l’étrange sondage a pris fin… ou du moins, j’aurais aimé pouvoir le dire. Malheureusement, il existe visiblement bien des mystères dans ce monde.

Ce n’était que le lendemain.

Après une nuit, le phénomène bizarre suivant arriva pour lancer une attaque.

Ou…

Peut-être que le voir comme « le suivant » était une erreur, alors qu’il n’était simplement que la suite.

Partie 3#

Après son cours de l’après-midi, Anzai en avait terminé avec les cours pour la journée.

Alors qu’il parcourait les annonces pour des « emplois sûrs et approuvés par l’école » postées sur un panneau d’affichage à l’extérieur, Harumi l’interpella.

Les trois autres ne semblaient pas être avec elle.

— T’as besoin d’argent pour tes dépenses quotidiennes ?

— Non, j’envisageais de passer mon premis. Mais j’ai fait des recherches et les cours d’auto-école coûtent cher. Dans les 300 000 yens.

— Oh, je vois. De mon côté, j’espérais m’offrir un deuxième smartphone.

— Hein ? T’en as besoin de deux en même temps ?

— Et c’est pour ça que j’ai ce mystérieux objet !!

Harumi sortit quelque chose de sa poche avec une telle force qu’il semblait ignorer les restrictions de la troisième dimension.

Anzai reconnut l’objet juste à sa forme.

Mais il lui donna un profond sentiment de malaise.

Oui.

C’était un paquet de mouchoirs de poche, un de ceux-là même qui étaient censés être distribués en face de la station.

D’après les rumeurs, ces mouchoirs louches contenaient le numéro de téléphone du groupe qu’on pouvait embaucher pour faire tout et n’importe quoi.

À première vue, c’était un paquet de mouchoirs tout ce qu’il y avait de plus normal. Cependant, il y avait entre deux mouchoirs un bout de papier de couleur rouge sang où était écrit une suite de chiffres avec une encre noire dégoulinante. Le nombre de chiffres correspondait à celui d’un numéro de téléphone, mais il n’était précisé nulle part où ce dernier menait.

Le seul numéro ne permettait pas de prouver que c’était celui du groupe en question.

Mais…

— Un type distribuait ces paquets de mouchoirs rouges en face de la station, comme le dit la rumeur.

— Je vois…

Vu que c’était un numéro de portable et non un numéro de fixe ou un numéro vert, Anzai n’avait pas du tout envie de l’appeler. Hélas, Harumi ne semblait pas s’en embarrasser le moins du monde.

— Ok, je vais les appeler.

— Tu vas leur demander de te trouver un boulot bien payé ?

— C’est trop indirect. Je vais leur demander de nous embaucher tous les deux !!

— Je sentais que t’allais m’embarquer dans cette histoire !

Anzai tenta tant bien que mal d’arrêter Harumi, mais elle sortit son (premier ?) portable et composa le numéro écrit sur le bout de papier.

Cependant, la jeune femme (?) qui décrocha sembla perplexe.

— Ici, c’est le numéro pour les clients. Nous ne pouvons accepter votre candidature.

La femme ne semblait manifestement pas habituée à parler aussi poliment, ce qui renforçait le sentiment de danger. Anzai ne voulait pas être mêlé à tout ça, mais Harumi semblait n’en avoir rien à faire.

— Mais je veux que vous acceptez ma demande de travail. Vous prétendez pouvoir réaliser tous les vœux des gens, non ?

— Gh…

— Je veux un boulot pour deux personnes qui ne s’effectue que trois fois par semaine, qui paye plus de 1000 yens par heure, qui n’est pas dangereux, et qui peut être fait par des amateurs.

— … B-Bah, allez pas vous plaindre si ça se passe mal.

Elle raccrocha la ligne téléphonique de ce qui ne ressemblait pas à une entreprise qui se comportait en véritable rouage de la société.

Le visage d’Anzai était livide, mais Harumi dit avec un sourire serein :

— Tu vois ? C’était simple comme bonjour.

Partie 4#

C’était un jour férié. Hélas, même si ses parents étaient mourants, s’il avait la grippe, s’il était piégé sur une île déserte perdue au beau milieu de la mer ou qu’un astéroïde était sur le point de s’écraser sur Terre, il ne pouvait pas se désister.

— C’est pas le moment de retourner se coucher !! dit Harumi.

— Comment t’as su où j’habitais ?

— C’est Kozue qui m’a dit.

— Je me rappelle pas lui avoir donné mon adresse !!

On leur demanda de se rendre sur un terrain vague tout à fait normal. Un homme d’âge mûr en bleu de travail était là. Il leur sourit et leur fit un geste de la main. Anzai était paré à attraper un tuyau en métal qui traînait sur le sol et à frapper l’homme à l’arrière de la tête s’il leur disait qu’ils allaient devoir être emmenés quelque part les yeux bandés, mais ça n’arriva pas.

— Vous voilà. Je m’appelle Suzukawa, le chef de section. Vous êtes les deux nouveaux, j’imagine.

— Oui !!

— Oui…

La réponse d’Anzai manquait énormément d’enthousiasme, mais la Terre continuait de tourner pour autant.

— C’est quoi le travail du jour ?!

— C’est pas loin d’ici, on peut s’y rendre à pied. Oh, prenez ça. C’est le matos pour le travail, alors prenez-en soin. Un travailleur ne peut pas survivre sans.

— … Un seau et… c’est quoi ça ? Un balai-brosse en forme de rouleau pour nettoyer les saletés sur un tapis ?

— C’est un rouleau de peinture. Jeune fille, prends le pot de peinture.

— D’accord !!

Ils allaient travailler dans un immeuble délabré qui se trouvait à cinq minutes à pied du terrain vague.

En fait, c’était le même immeuble où vivait Anzai.

— Pourquoi tout le monde s’intéresse à l’endroit où je vis ?!

— Qu’est-ce qu’il raconte ?

— Il divague des fois.

Anzai suivit avec grande réticence les deux autres jusque dans l’immeuble. Ils arrivèrent devant l’appartement voisin du sien.

— C’est un appartement vide.

— … Qu’est-ce qu’on va faire ?

— Peindre les murs. Il faut qu’il soit comme neuf pour la prochaine personne qui va emménager ici.

— Hum, marmonna Anzai, avant de s’exclamer, Hein ?

Il fut pris d’un étrange pressentiment. Il avait l’impression que quelque chose clochait dans cette histoire.

Cependant, Harumi et le chef de section étaient déjà en train de pénétrer dans le studio vide.

Et ils n’avaient même pas retiré leurs chaussures.

— Voilà, c’est là. Au plafond.

— Waouh.

— Ok, contentez-vous de le repeindre. Allez, du nerf.

Se demandant de quoi ils pouvaient bien parler, Anzai entra timidement dans la pièce.

Il tomba alors nez-à-nez avec une tache plus que louche qui selon lui, devait être nominée dans le top 100 des endroits hantés du Japon.

— Waaaaaaaaaaaaaaaaaaaahhhhhhhhhhhhhhhhhh ?!

— Anza-kun a tendance à en faire tout un foin pour tout et rien, non ?

— Disons qu’il met de l’ambiance, répondit Harumi.

— Vous foutez pas de ma gueule !! C’est quoi ce truc ?! Ça a clairement la forme d’une personne !! Cette tache ressemble à un être humain les bras et jambes écartés !! Qu’est-ce qui a bien pu se passer dans cet appart” ?!

— Allez, magnez-vous de tout repeindre.

— On est payés à l’heure, alors on n’a pas vraiment envie de finir trop vite.

— Non, attendez !! Expliquez-nous ça !!!!! En fait, je pense que même si on avait poignardé la victime dans l’appartement du dessus, ça n’aurait jamais pu faire une tache comme ça ! Qu’est-ce qui a bien pu faire une tache aussi terrifiante ?!

Maintenant que j’y pense, il y avait une fille étrange qui habitait ici jusqu’à il y a deux semaines ! Elle avait des cheveux blancs, environ douze ans, utilisait le pronom « konata » pour faire référence à elle-même, et vivait seule !! Comment cette tache a bien pu arriver là ?!

Le cerveau d’Anzai semblait surchauffer.

Pendant ce temps-là…

— Aucune idée. On m’a juste dit de faire quelque chose pour cette tache.

— … Alors vous allez juste obéir aveuglément ?

— La demande n’était pas de découvrir ce que c’est.

Tout en parlant, le chef de section d’un âge mûr retira le couvercle du pot de peinture et versa la peinture blanche dans le seau. Puis, il prit l’objet qui ressemblait à un balai-brosse cylindrique pour retirer la poussière des tapis et le plongea dans la peinture.

— Bon, au boulot maintenant. Vous ne devriez pas avoir besoin d’un escabeau. Allez, bougez-vous. Peut-être que vous serez payés autant quoi que vous fassiez, mais tâchez de ne pas vous tourner les pouces devant moi.

— Wahh ! La peinture me coule dessus quand je tiens le rouleau au-dessus de ma tête !! cria Harumi.

— Quelle autre surprise se cache encore ici ?! Et quel genre de secret renferme ce vieil immeuble où je vis ?!

Cependant, les deux autres ne semblait avoir d’yeux que pour l’argent.

Le chef de section s’adressa à Anzai qui se plaignait encore.

— C’était prévisible.

— Hein ?! Vous voulez dire que cet endroit est hanté à cause d’un horrible incident du passé ?!

— Non. Les gens peuvent nous embaucher pour tout et n’importe quoi, tu te souviens ? Enfin, vous avez bien demandé un travail de trois jours par semaine rémunéré 1000 yens par heure. Tu devrais pas être étonné de te retrouver avec ce genre de boulot.

— … Alors vous ne faites pas ça à longueur de journée ?

— Non. Nous faisons tout ce qu’on nous demandera de faire, alors nous nous retrouvons avec toutes sortes de tâches. Si un petit salaire te convient, tu peux toujours te trouver un travail facile et pas dangereux. Avec la rémunération demandée, il est normal que ce soit un peu plus difficile. Alors arrête de te plaindre.

— Pas vrai ?! Pas vrai, pas vrai ?!

— Je commence à me demander s’il manque pas une case ou deux à Harumi…

Bien qu’Anzai ne l’appréciait pas, un travail était un travail. Il pouvait toujours demander plus tard à son proprio pour la tache. Bien entendu, il ne vivait pas dans ce studio, alors il était possible qu’il ne soit pas dans l’obligation de lui expliquer de quoi il en retourne.

Il plongea le rouleau à peinture dans le seau pour l’enduire de peinture. Quand il étirait les bras en l’air, il pouvait tout juste toucher le plafond. Quand il y pensait, toute cette histoire clochait depuis qu’on leur avait dit de repeindre sans même retirer le papier peint d’abord, mais c’était le proprio qui fomentait quelque chose de louche, pas le groupe pour qui Anzai travaillait.

— … Par contre, ce raisonnement devient très dangereux si on va jusqu’à considérer un possible meurtre.

— T’as dit quelque chose ?

Anzai ne voulait pas causer de problèmes, alors il se mit à penser à autre chose pour essayer d’en finir avec ce travail.

Il appuya le rouleau contre le plafond pour étaler la peinture.

Après quelques allers-retours du rouleau, la tache de forme humaine allait disparaître. Mais alors…

— Mm… mm…?

— Ça vient de parler !! Cette tache vient de marmonner quelque chooooooooose ?!

— Ah ?! Agite pas le rouleau comme ça !!

— T’en fous partout. Bah, on doit tout repeindre de toute façon, alors peu importe après tout.

Les deux autres semblaient imperturbables.

En soit, c’était déjà un problème, mais un mot en particulier avait attiré l’attention d’Anzai.

— Tout ?

— Oui, tout.

— Alors, c’est pas juste le plafond, mais aussi les murs et le sol ? Une seconde, pourquoi on doit faire ça ?

— C’est ce qu’on nous a demandé de faire.

Anzai jeta rapidement un œil aux murs et au sol. Un des murs était partagé avec son appartement, alors il avait une bonne raison de s’inquiéter.

— B-Bah, je vois pas de taches de formes humaines dessus pourtant… Et toi ?

— Nan, dit Harumi.

Cependant, un mauvais pressentiment surgit du plus profond de l’esprit d’Anzai.

— … Alors il y a quelque chose d’autre que cette tache ici ?

— Sûrement. Oh, mais il y a plus important, magnez-vous de repeindre ce plafond. Ou il va s’enfuir.

— Comment ça ? La tache va s’enfuir ?! Vous voulez dire que c’est pas une tache ?! Me dites pas que c’est en fait un tas de petits insectes noirs qui ressemblent simplement à une tache !!

— Peu importe, ça ne change rien au fait qu’il faut que tu repeignes ce plafond. Allez, au boulot. Il risque de s’enfuir dans l’appartement voisin sinon.

— Gwooooooooooooooooooooooooooohhhhhhhh !!

Malgré qu’il ne comprenait toujours pas la situation, Anzai agita le rouleau comme si c’était une épée sacrée et scella la (chose qui ressemblait à une) tache noire avec la peinture.

— Beau travail !!

— Waouh, je n’aurais pas cru qu’un amateur en serait capable.

— Minute !! C’est tout ?! J’ai comme l’impression que ce truc est toujours en vie et qu’on n’a fait que le cacher.

— La tache est « en vie » ? Tu racontes des trucs vraiment étranges, toi.

— Comme c’est poétique, commenta Harumi.

— C’est pas juste !! Pourquoi tu prends ce que je dis au pied de la lettre seulement quand ça t’arrange ?!

— Ok, on en a peut-être fini avec le plafond, mais il faut toujours qu’on peigne le reste. Anzai-kun, va cacher les cheveux qui dépasse des fissures au sol. On dirait que lentement, mais sûrement, il essaye de sortir par là.

— Nooooooooon !! Cette fois-ci, c’est quelque chose de physique ?!

— Ha ha ha ! Comment tu peux qualifier ces cheveux carrément surnaturels de phénomène physique ?! dit Harumi.

— Oh, alors t’admets que ces trucs sont paranormaux maintenant ?!

Plus tard, le trio fit face à « un gros tas de moisissures qui ressemblait à une emprunte de main d’un bébé », « un mur couvert de protubérances en forme de seins qu’ils avaient découvertes après avoir retiré la baignoire », « une écriture féminine disant “délicieux” qui semblait avoir été écrit avec les ongles de quelqu’un », et d’autres phénomènes similaires. Ils les avaient tous renvoyés dans les ténèbres.

Le soir, après qu’ils eurent fini, le visage d’Anzai était complètement livide.

— … I-Il faut que je vérifie s’il y a des traces de peintures dans mon studio !!

— Waouh, se faire 1000 yens par heure juste en peignant, c’est trop cool ! dit Harumi.

— Oui, mais estimez-vous heureux d’être restés sous la barre des 1000 yens. Ça aurait pu être encore pire si vous aviez franchi celle des 1200. Ces boulots sont de niveau « Au-delà du réel ».

— Pire que celui-là ?!

Et c’est quoi le terme qu’il a employé ? « Au-delà du réel » ?!

— Oui, acquiesça le chef de section qui avait de l’expérience dans le domaine. Vous connaissez l’université du coin ? Récemment, on nous a demandé de nous faire passer pour des étudiants là-bas. Ce sondage est carrément le genre de truc avec lequel j’ai rien envie d’avoir à faire.