Attraction 09#

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Tuer quelqu’un en élucidant un mystère n’impliquant pas de meurtre

Il fallait que j’en sorte gagnante.

J’avais essayé toutes les options possibles. J’avais tout perdu : mon argent, mon statut social, et tous les gens que j’appelais mes amis. Tout le monde m’avait abandonnée. Mais je n’avais toujours pas réussi à localiser cet être cher qui avait disparu. Et ainsi, j’avais reçu l’aide d’une organisation. Elle m’avait assuré pouvoir le faire. Cela donnait presque l’impression qu’elle était impliquée dans sa disparition, mais ça m’allait. Tout m’allait tant que j’allais pouvoir me rapprocher de lui.

Et donc, je parcourus les règles de l’attraction.

Tout d’abord, saisir un nombre à deux chiffres dans la machine.

Puis, les deux participants doivent essayer de deviner le nombre de l’autre. Voici en quoi consiste cette attraction.

— …

J’utilisai mon index pour saisir un nombre sur le clavier où les chiffres de 0 à 9 étaient disposés comme sur une calculatrice. Mon destin se jouait sur ce nombre.

Je ne pouvais pas voir le visage de mon adversaire.

Je n’avais aucune idée du piège que ce dernier me tendait.

C’était un peu comme être assis face à face à une table, mais un épais mur recouvrait tout sauf nos mains, comme dans les accueils d’une banque ou d’un bureau de poste. La principale différence était que ce mur était opaque et non transparent.

… C’est pénible.

Dans un duel, cela devait passer par un combat psychologique. Pour cette raison, ne pas pouvoir voir le visage de mon adversaire ou le mouvement de ses yeux était un désavantage.

Plusieurs cartes se trouvaient sur la table.

Un rapide compte m’indiqua qu’il y en avait une vingtaine et il y avait des « questions » sur chacune d’entre elles.

« Divisible par 1. »

« Divisible par 2. »

« Divisible par 3. »

« Divisible par 4. »

« Divisible par 5. »

« Divisible par 6. »

« Divisible par 7. »

« Divisible par 8. »

« Divisible par 9. »

« Pair. »

« Plus grand que 50. »

« La somme des deux chiffres est plus grand que 15. »

« Le produit des deux chiffres est plus grand que 25. »

« La différence entre le chiffre 1 et le chiffre 2 est négatif. »

« Le quotient de la division du chiffre 1 par le chiffre 2 est un nombre entier. »

« Les deux chiffres sont séparés par plus de 5. »

« Inverser les deux chiffres donne un nombre plus grand. »

« Le carré du nombre est impair. »

« Le carré du nombre est supérieur à 2000. »

« Le triple du nombre est supérieur à 50. »

Je savais qu’il existait des méthodes pour déterminer le nombre que quelqu’un avait en tête, mais je ne les connaissais pas. Était-ce possible avec juste ces cartes ou les questions étaient-elles limitées afin de m’obliger à deviner ?

La bunny girl souriante qui faisait le tour de la table tout en ignorant la cloison dit : – Quand vous posez une question, glissez la carte dans la fente en bas de la cloison. Vous devez répondre de façon précise à la question. On vérifiera aussi, alors pas de triche, ok ?

On nous interdisait de parler si ce n’est le strict minimum pour répondre aux questions.

Du coup, il était toujours possible de jauger l’état mental de mon adversaire à sa façon de répondre.

La bunny girl ajouta alors : – Une fois qu’un joueur a utilisé une carte, aucun des deux joueurs ne peut plus l’utiliser. Autrement dit, si un de vous utilise « Pair », aucun de vous deux ne pourra à nouveau s’en servir.

— …

— Vous jouerez tour à tour. Quand vous aurez deviné le nombre de l’autre, appuyez sur ce bouton. Celui qui répond le premier aura gagné, mais vous perdrez automatiquement en cas de mauvaise réponse. Autrement dit, vous serez tué, alors faites gaffe.

— Une question.

— Oui, qu’y a-t-il ?

— Si on joue l’un après l’autre, celui qui joue en premier est avantagé, non ? Il a le droit de choisir en premier la carte qui ne pourra plus être utilisé, et il aura plus tôt l’information nécessaire pour trouver le nombre.

— Mais une série de cartes peut servir à déterminer le nombre. L’autre joueur n’aura peut-être plus la carte la plus utile à disposition, mais aura l’opportunité de deviner la stratégie de l’adversaire et donc de lui couper l’herbe sous le pied. Et pour ce qui est de la réponse finale, on donnera également une chance à l’autre joueur de répondre si le premier a vu juste. Si les deux répondent correctement, la partie se termine sur un match nul. Vous devrez donc entrer un nouveau nombre et recommencer.

— …

La bunny girl lança nonchalamment une pièce pour déterminer l’ordre.

— Ok, Saiki-san, c’est toi qui commences.

Je jouais en première.

Je jetai un œil aux cartes alignées sur la table. Au premier abord, on croirait que chacune était opportune, mais ce n’était pas le cas. Il y avait plusieurs pièges évidents qui donnaient la même information qu’une autre carte.

« Divisible par 2. »

« Pair. »

« Le carré du nombre est impair. »

Ces trois-là signifiaient la même chose.

« Divisible par 2. »

« Divisible par 4. »

« Divisible par 6. »

« Divisible par 8. »

Ces quatre-là…

« Divisible par 3. »

« Divisible par 6. »

« Divisible par 9. »

… et ces trois-là étaient plus intéressants quand on utilisait le nombre le plus petit. Bien entendu, elles pouvaient avoir leur utilité en fonction de la situation.

Mais il y avait une question que je devais poser en premier.

Une question primordiale pouvait réduire considérablement le champ des nombres possibles pour un nombre à deux chiffres.

Et…

En prévention de ça, je voulais empêcher mon adversaire de l’utiliser.

— Celle-ci, marmonnai-je tout en glissant la carte dans la fente de la cloison pour poser la première question à mon adversaire.

La carte disait, « Plus grand que 50. »

La réponse que je reçus fut : – Non.

Cela signifiait que le nombre était inférieur à 50.

Je savais exactement quelle carte utiliser ensuite, mais…

Une carte tomba vers moi depuis la fente.

Je la lus.

« Pair. »

— … Non.

Alors c’est ça ta stratégie, hein ? T’es trop naïf.

Comme expliqué précédemment, certaines cartes signifiaient la même chose mais exprimée différemment.

Je saisis une de ces cartes et la glissai dans la fente.

« Divisible par 2. »

— Oui.

Ainsi, j’avais ramené les possibilités à un quart des 100 candidats.

Autrement dit…

2, 4, 6, 8, 10, 12, 14, 16, 18, 20, 22, 24, 26, 28, 30, 32, 34, 36, 38, 40, 42, 44, 46, ou 48.

Mais réduire précisément cette liste allait devenir compliqué maintenant.

Alors que je passais en revue cette suite de nombre dans mon esprit, une carte tomba sur la table.

« Divisible par 3. »

— …? Non, mais…

Je fronçai des sourcils en voyant la carte, mais répondis malgré tout.

//Il vient de me demander si c’était pair ou impair, alors pourquoi ?

Ah ?!

— Saiki-san, merci de te contenter de répondre aux questions.

La bunny girl m’avait gentiment réprimandée, mais j’avais d’autres choses à me soucier.

Ça craint.

Ça craint !!

J’avais répondu non au fait qu’il soit pair et non au fait qu’il soit divisible par 3.

L’information donnée à mon adversaire était évidente.

J’avais révélé que mon nombre était un nombre impair bien spécifique.

S’il me demandait s’il était divisible par 5 puis par 7, il allait réduire drastiquement le champ des possibles. En répondant deux fois non, il allait découvrir que j’avais choisi un nombre extrêmement particulier qui n’est divisible par aucun nombre entier !

Est-ce que je devrais utiliser l’une ou l’autre pour l’empêcher de les jouer ?

Mais aucune de ces cartes n’allait m’aider à déterminer le nombre choisi par mon adversaire. J’allais gâcher un tour. La première personne à bien répondre l’emportait, alors il était préférable de trouver son nombre en le minimum de cartes.

— Saiki-san ? Allez, plus vite.

Kh.

Est-ce que je devrais tenter le tout pour le tout en essayant de trouver son nombre le plus vite possible ?

Ou est-ce qu’il valait mieux ne pas prendre de risque en protégeant mon nombre ?

Après avoir un peu réfléchi, je glissai une carte dans la fente.

« Divisible par 5. »

— Oui.

… Hein ?

J’avais tellement eu peur de tenter le diable et avais gâché un tour, mais cela avait en fait réduit de beaucoup la liste des candidats.

Après tout, les seuls nombres possibles étaient…

10, 20, 30, et 40.

Il n’y avait que ces quatre-là.

Dans ce cas, je pouvais déterminer son nombre avec deux cartes qui réduiraient chacune de moitié cette liste.

Mais qu’allait faire mon adversaire en réponse ?

Après avoir été acculé à ce point, il allait sûrement utiliser une de ces très bonne carte à laquelle je pensais. Mais…

« Divisible par 7. »

— Hein…?

J’étais prise de court.

Mais… quoi ?

Il était vrai que c’était une stratégie comme une autre, mais…

— Saiki-san, ta réponse, s’il te plait.

— N-Non.

J’avais répondu honnêtement, mais je n’étais pas satisfaite.

Je ne pouvais que penser que mon adversaire avait pour optique de déterminer mon nombre le plus vite possible pour mettre fin à la partie avant que sa situation défavorable ne se retourne contre lui.

Mais pouvait-il vraiment jouer sa vie sur ça ?

Je pouvais en finir en devinant son nombre parmi quatre options.

Normalement, il devrait travailler à m’empêcher d’y parvenir.

Je n’arrivais pas à comprendre à quoi il pensait.

Je me sentais vraiment mal à l’aise. Je n’étais plus sûre que la situation allait autant dans mon sens que je le pensais.

Je jetai un œil vers les cartes qu’il me restait et en envoyai une par la fente.

La question était…

« Divisible par 4. »

— Oui.

Il ne restait plus que 20 et 40 comme candidats possibles.

Mais…

Il avait répondu presque immédiatement. Il n’avait pas hésité. Et la prochaine carte qu’il m’envoya fut…

« Le produit des deux chiffres est plus grand que 25. »

Il continue avec ça ?!

Cela ne semblait pas réduire autant que « divisible par 5 » et « divisible par 7 », alors sa stratégie semblait montrer quelques failles. Et pourtant, il ne semblait manifestement pas décider à me mettre des bâtons dans les roues.

— Non.

J’avais répondu, mais le doute s’emparait de moi.

Que se passait-il ?

Mon adversaire était-il un idiot qui ne réfléchissait pas du tout ? Ou faisait-il en sorte de me faire croire que j’allais gagner ?

Autrement dit…

Et si mon adversaire n’était pas si acculé que je le pensais ?

Était-il possible que j’étais conduite vers une mauvaise réponse ?

Le bout de mes doigts tremblait.

Malgré tout, je saisi une carte et la glissai dans la fente.

« Divisible par 8. »

— Oui.

C’était fini.

La réponse était 40.

C’était la seule réponse possible, mais quelque chose me turlupinait. Mais quoi ? Je ne voyais aucune erreur dans mes calculs ou ma stratégie. J’avais été conduite jusqu’à la bonne réponse. Mais j’avais toujours ce sentiment de malaise au fond de moi.

Et cela venait de l’absence d’hésitation chez mon adversaire.

Cela pouvait évidemment être un bluff de sa part, mais à quoi bon ? Jouer ne serait-ce qu’une carte m’aurait forcé à jouer plus de cartes pour trouver la réponse.

— … Attends.

Une seconde.

Se pourrait-il que…?

Je me remémorai les cartes que j’avais jouées jusqu’ici.

« Plus grand que 50. »

La réponse avait été non.

« Divisible par 2. »

La réponse avait été oui.

« Divisible par 5. »

La réponse avait été oui.

« Divisible par 4. »

La réponse avait été oui.

« Divisible par 8. »

La réponse avait été oui.

Rien ne paraissait étrange au premier abord, mais la séquence de « divisible par X » me travaillait. Il était divisible par 2, 4, 5 et 8. Il était divisible par tout ce que j’avais demandé. Un nombre de ce type n’était pas si courant. Et surtout, je doutais que quelqu’un joue sa vie sur un nombre aussi basique.

Pour ce qui est de sa divisibilité, le nombre que j’avais choisi n’était divisible que par 1.

Alors il devait y avoir anguille sous roche.

Comment s’appelait le sentiment inquiétant que je ressentais ? Quel était cet énorme piège que m’avait tendu mon adversaire ?

Existait-il une autre réponse que 40 ?

S’il avait choisi son nombre pour amener quelqu’un à le deviner par une méthode classique, il n’existait qu’une seule possibilité.

— J’ai trouvé !!

Je claquai ma paume contre le bouton sur la table et un ridicule bruit électronique résonna.

La bunny girl demanda : – Bien, Saiki-san. Quel est le nombre choisi par ton adversaire ?!

Cela allait y mettre fin.

Je devais choisir entre deux options.

Si par miracle mon adversaire n’y avait pas pensé du tout, j’étais en train de nier la bonne réponse et je courrais à ma propre perte.

Mais je doutais sérieusement que ce fusse le cas.

S’il n’avait aucun plan, il n’aurait pas montré une telle sérénité en répondant.

Dans ce cas…

Le nombre choisi par cette personne que je n’avais jamais envisagé était…

— Zéro !!